1702, Denis Leprestre, natif de Montoir, meurt comme esclave à Salé port de la côte atlantique du Maroc.
1707, René Leprestre est de retour à Montoir après six années de captivité et d’esclavage.
1709, Denis Moyon est de retour à Montoir après huit années de captivité et d’esclavage.
1712, Pierre Charon, libéré après 11 années d’esclavage décède sur la route du retour à Malaga.
1716, Charles Jehaneau, est de retour à Montoir après 14 années d’esclavage.
Capturé et réduit à l’état d’esclave, c’est ainsi que fin 1701 se termine le voyage au long cours de cinq montoirins qui avaient quittés Nantes en novembre 1701 pour se rendre à Saint-Domingue aux Antilles. Membres de l’équipage avec dix autres marins, ils naviguaient sur le Gaillard, navire nantais de 70 tonneaux commandé par le capitaine montoirin breveté depuis 1699, René Leprestre, quand le navire est attaqué dans l’océan Atlantique par l’un des chébecs des redoutés corsaires salétins. L’équipage français capturé est emmené au port de Salé (près de Rabat) pour y être vendu comme esclave et sans doute utilisé sur les chébecs pour les manœuvres ou comme rameurs.
Chébec – Esclavage
Deux mots employés dans le précédent paragraphe méritent quelques explications et un court développement : chébec et pourquoi employer le mot esclavage ?
Le poète français Paul Valéry (1871-1945) regrette la disparition de la marine à voile et cite le chébec ce navire hispano-barbaresque, avec une nostalgie certaine dans un texte de 1936 « Ces bateaux comme il n’en existe plus guère, ces types séculaires que la vapeur et le pétrole ont exterminés, les étranges chébecs par exemple, aux formes d’une élégance orientale, qui avaient la proue grêle et bizarrement dessinée, … ».
Un chébec de la méditerranée
L’origine du nom de ces navires « d’élégance orientale » serait le mot catalan, xabec, qui désignait aux XVe – XVIe siècles un petit bateau de pêche de Catalogne, à voile latine. Amélioré et transformé, il devient un voilier léger, très manœuvrant, à coque fine, aux extrémités élancées, à fort éperon, avec trois-mâts portant des voiles latines. Le mât de misaine ou trinquet incliné sur l’avant lui donne une allure caractéristique. En absence de vent, des rames peuvent être utilisées. La configuration du pont impose alors de ramer debout. Certains chébecs sont armés pour la guerre ou la piraterie. Atteignant une quarantaine de mètres, ils peuvent recevoir 280 hommes et porter une surface de voiles de l’ordre de 800 m². Pour l’attaque, entre les rames, de petits sabords permettent installer une vingtaine de canons. Ces navires taillés pour la course et à faible tirant d’eau d’origine hispano-arabe seront très largement utilisés au cours des XVIIe et XVIIIe siècles en Méditerranée par les marines royales espagnole et française, par les marchands, mais également par les corsaires et pirates sillonnant les côtes barbaresques de la Méditerranée et celles marocaines de l’Atlantique quant ils ne s’aventurent pas jusqu’aux côtes irlandaises !
Quant à l’esclavage, il a débuté bien avant la traite négrière organisée par les Européens en Afrique de l’Ouest. Il est pratiqué par tous les peuples de l’Antiquité, Égyptiens, Grecs, Romains, peuples nomades du Moyen-Orient… en recherche de travailleurs et de soldats. A compter du VIe siècle de notre ère, avec l’extension continue de la religion musulmane et la conquête de nouveaux territoires, la nécessité de rechercher de la main-d’œuvre et des soldats se développe, d’autant que le calife Omar, (581-644) est à l’origine d’une législation qui interdit de mettre en servitude un musulman. Cette législation va pousser les musulmans dès les VIIe et VIIIe siècles à chercher des esclaves hors de leurs terres, c’est-à-dire en Afrique noire et en Europe orientale. Les esclaves viennent des Balkans, du Caucase, de l’Afrique de l’ouest et orientale et des équipages des navires européens. Les nations européennes ne sont pas en reste, leurs marines et chevaliers de Malte prennent en chasse ces barbaresques et les envoient ramer sur les galères de sa majesté très catholique, le roi d’Espagne ou de sa majesté très chrétienne, le roi de France. Du XIIe au XVIe siècle, une grande part de commerce de la méditerranée est aux mains des marchands de Gènes, Florence et de la Catalogne, les marchés aux esclaves y sont florissants.
Confrontant les diverses sources, l’anthropologue spécialiste du monde musulman, Malek Chebel estime dans son ouvrage L’esclavage en terre d’Islam, paru en 2007, à plus de 20 millions le « volume total de l’esclavage en terres arabes et musulmanes » durant les quatorze derniers siècles. Ce nombre englobe des captifs d’origines ethniques et géographiques fort diverses aussi bien les captifs des guerres slaves, les concubines et les domestiques des régions du Caucase, de l’est de la mer Noire que les domestiques noirs achetés à des négriers ou razziés dans les villages du Sahel, les marins chrétiens capturés par les corsaires barbaresques en Méditerranée.
Afin de libérer les marins et autres européens chrétiens capturés et soumis à l’esclavage, un ordre religieux catholique est fondé par un languedocien Pierre Nolasque (1189-1256) pour racheter « les chrétiens captifs des pirates maures et réduits à l’esclavage. » Il s’agit de l’Ordre des Mercédaires, encore appelé Ordre de Notre-Dame-de-la-Merci (Ordo Beatæ Mariæ Virginis de Redemptione Captivorum). Au cours des siècles cet ordre aurait participé à la libération d’environ 500 000 captifs chrétiens !
Rachat des captifs chrétiens par des Mercédaires vers 1670
Qui sont les corsaire salétins à l’origine de la prise du Gaillard
En 1701, Moulay Ismaïl ben Chérif (vers 1645 – 1727) est au pouvoir depuis 1672 comme sultan du Maroc. Alors que Louis XIV règne sur la France, Moulay Ismaïl sur un pays qui sera à l’apogée de sa puissance en reprenant bien des ports de la côte marocaine tenus par les Européens, faisant des milliers de prisonniers chrétiens, mais également en chassant d’Alger les Ottomans. Son règne est le plus long, plus de cinquante années, de la dynastie alaouite dont le roi actuel du Maroc descend. A côté de ces conquêtes et succès militaires , c’est un roi bâtisseur, dont le grand palais de Meknès, des jardins, des portes monumentales, de plus de quarante kilomètres de murailles et de nombreuses mosquées.
Mais une partie de sa fortune et de son autorité repose sur la flotte qu’il contrôle à Salé-le-Vieux et Salé-le-Neuf (Rabat) sur la côte atlantique du Maroc.
Vue actuelle du port de Salé au Maroc
Les corsaires de Salé, les Salétins ont pour mission d’approvisionner le sultan en esclaves chrétiens, en armes et tout ce qu’ils peuvent prendre lors de leurs razzias tant en Méditerranée qu’en Atlantique et Mer du Nord. Moulay Ismaïl est surnommé le « roi sanguinaire » par les Européens, en raison de sa cruauté et de sa justice sommaire et un rituel du diocèse de Coutances (Normandie) « Mon Dieu gardez-nous des Salétins »
Le rachat mouvementé des marins montoirins
Ordre des Mercédaires, Ordre de Notre Dame de la Merci
L’ordre des Mercédaires va intervenir afin d’essayer de libérer les marins montoirins. Comme souvent lors de captures et de rachat d’esclaves, les négociations sont aléatoires, parfois difficiles, et les résultats incertains. En effet, les conditions ne sont guère à l’avantage des chrétiens qui souvent doivent payer, mais également fournir des esclaves en compensation.
Entre 1704 et 1716, trois voyages sont organisés par les Pères de l’ordre des Mercédaires dans les états du Maroc pour y faire un rachat des captifs et esclaves Français.
En janvier 1704, des captifs-esclaves dont René Leprestre et Charles Jehanneaux signent une lettre de remerciements au Comte de Pontchartrain, secrétaire d’État de la Marine de Louis XIV, pour le remercier des secours envoyés et exprimer l’espoir prochain de leur libération. Déception, le 22 avril 1704, aucun marin de Montoir ne sera du voyage de retour de Salé à Nantes. Seulement 12 esclaves prendront place à bord du Patriarche navire deNantes, commandé par René Darquistade, futur maire de Nantes. Le voyage ne fut pas de tout repos et le Patriarche devra affronter les éléments déchaînés et finira sa course échoué sur un banc de sable au large de Paimbœuf.
En Août 1706, Étienne Pillet, un marchand français, renégat, installé à Salé, est chargé par la République de Gènes de négocier le rachat des esclaves génois. Il se rend à Meknès, capitale du sultan Moulay Ismaïl, et obtient le rachat de 18 esclaves Génois moyennant 730 piastres par tête et au même prix, trois esclaves français, Michel Baron natif de St-Malo, Raymond Larbourie natif d’Oléron et René Leprestre natif de Montoir. Tous rejoignent Cadix (Espagne) et de là, René Leprestre s’embarque sur un bateau français et retrouve Montoir en mai 1707.
En 1708, Pillet obtient la liberté de deux autres esclaves dont Denis Moyon, natif de Montoir qui fut négocié pour 630 piastres et un Maure. Sa liberté fut facilitée car il était boiteux depuis le début de sa captivité. Mais sur le navire du retour, libre, miracle, plus besoin de bâton pour se déplacer ! Il est de retour à Montoir en 1709.
Les Mercédaires rencontrent les barbaresques pour racheter des captifs esclaves
Malgré les quelques libérations obtenues par le dénommé Pillet, les religieux de l’Ordre de Notre-Dame-de-la-Merci s’activent pour la libération de dizaines voire centaines de chrétiens captifs et esclavages. En juillet 1706, ils proposent pour le rachat de chacun des esclaves français, 200 piastres et un Maure, plus un présent pour le roi et 1000 piastres pour l’intermédiaire. La mission échoue. Cinq ans plus tard, en 1711, un accord est enfin conclu pour le rachat d’une vingtaine de Français. Si la mission d’échange se met en route en octobre 1711, après bien des vicissitudes dues aux difficultés du voyage et aux intempéries, l’échange se déroule à partir du 27 avril 1712 au bord de la mer d’où ils sont conduits à Ceuta, ville sous domination espagnole depuis le XVe siècle. Delà, les captifs redevenus libres partent pour Cadix et attendent le mois de septembre 1712 pour embarquer sur un navire qui doit se rendre à Marseille après avoir pris un chargement d’huile d’olive à Malaga. Parmi les libérés, Pierre Charon, natif de Montoir. Son état ne lui permet pas de reprendre la mer après l’escale de Malaga. Il reste à terre et décède à Malaga quelques mois plus tard.Malgré les années, les négociations, transactions, échanges, tous les marins de Montoir ne sont pas encore libres. Reste Charles Jehaneau qui restera 14 années comme esclave avant d’être racheté 300 piastres et échangé contre un Maure, et ce, en 1716. De retour à Montoir, il décède quelques années plus tard à l’hôpital de Nantes.
Petite histoire de la grande histoire de la marine et des aventures d’hommes partis sur les mers pour vivre et faire vivre leur famille, qui ne demandaient qu’à exercer leur métier, et conduire à bon port des hommes et des chargements. Les éléments naturels n’étaient pas toujours les seuls aléas de la navigation, la volonté de conquête, de possession et de main-mise sur les hommes par certains individus, rendaient encore plus incertaine la navigation des navires.
Yves-Marie Allain – janvier 2023.
Marins montoirins de l’équipage du Gaillard
capturés par les Salétins en novembre 1701
René LEPRESTRE (Capitaine), né le mardi 6 décembre 1667 à Montoir section de Saint-Malo, est le fils légitime de Gilles Leprestre et de Julienne Richard. Il se marie avec Jeanne Mahé (1673-1728) le mardi 3 juin 1692 à Montoir. Il est breveté capitaine en 1699.
Pierre CHARON, Matelot, beau-frère du Capitaine Leprestre, né le mardi 28 avril 1676 à Montoir, section de Saint-Malo-de-Guersac, est le fils légitime de Germain CHARON et de Julienne DUPIN. Sa mère Julienne meurt le 27 mai 1690, Pierre est âgé de 14 ans. Son père Germain meurt le 23 octobre 1692, Pierre est âgé de 16 ans. Il se marie avec Jacquette Leprestre (la sœur du Capitaine René Leprestre), la fille légitime de Gilles Leprestre et de Julienne Richard le mardi 1er juillet 1698 à Montoir. Pierre Charon décède à Malaga sur la route du retour en France, quelques mois après sa libération.
Charles JEHANEAU, Matelot, né le jeudi 16 juillet 1682 à La Croix de Saint-Malo en Montoir, est le fils légitime de Arthur Jehaneau et de Élisabeth Charon. Il se marie avec Perrine Halgand vers 1718 à Montoir. Il décède le dimanche 12 décembre 1723, à l’âge de 41 ans, à Montoir.
Denis MOYON, Matelot, né le jeudi 30 juillet 1676 à Trignac en Montoir est le fils légitime de Denis Moyon et de Jeanne Vincent. Il se marie le lundi 26 octobre 1699 à Montoir avec Guillemette Macé (1680-1731). Denis Moyon décède en septembre 1723, à l’âge de 47 ans, à l’hôpital de Nantes.
Denis LEPRESTRE Matelot fils de Pierre, mort en esclave à Salé en 1702.
Remerciements :
Cet article n’a pu être écrit que grâce à l’ensemble des recherches et des éléments sur les marins-esclaves de Montoir paru dans l’article d’Yves Gourhand, Des Marins Montoirins Esclaves au Maroc (1701-1716), (non daté)mis en ligne sur: http://lastephanoise.fr/articles-rediges-et-mis-en-ligne-par-yves-gourhand.html
courte bibliographie
Yves Gourhand, Des Marins Montoirins Esclaves au Maroc (1701-1716).
Mohammed Ennaji, Le Sujet et le Mamelouk. Esclavage, pouvoir et religion dans le monde arabe, éd. Mille et une nuits, 2007.
Malek Chebel,L’esclavage en terre d’Islam- le regard d’un anthropologue, 2007.www.herodote.net
Ordre de Notre-Dame-de-la-Merci: https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/2042466
La maquette d’un chébec exposée au Musée de la Marine en Bois du Brivet à Montoir de Bretagne
En ce lundi 9 novembre 1942, le soleil brille à Saint-Nazaire. A l’école d’apprentissage du chantier de Penhoët, les apprentis viennent de reprendre le travail au début de l’après-midi. Ils sont loin de se douter que cette belle journée d’automne va se transformer, dans quelques minutes, en cauchemar.
La guerre dans le monde et la situation en 1942 : L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie le 22 juin 1941, rompant ainsi le pacte germano-soviétique. A la suite du bombardement de Pearl Harbor par les Japonais le 7 décembre 1941, les Etats-Unis entrent à leur tour dans la guerre qui devient mondiale. Le conflit se poursuit sur différents fronts, et l’année 1942 marque un tournant décisif. En Europe, l’armée soviétique entame sa contre-offensive le 1er janvier 1942. La bataille de Stalingrad débute dès le 17 juillet. Les Allemands capituleront le 3 février 1943. En Afrique, les troupes anglaises et françaises libres affrontent les Allemands, commandés par Rommel. La bataille de Bir-Hakeim les bloque dans leur avancée vers Suez. Après la bataille de Tobrouk, l’avance allemande en Egypte est définitivement stoppée. Le 8 novembre, les troupes anglaises et américaines débarquent en Afrique du Nord, au Maroc et en Algérie. En France, le 11 novembre, Hitler déclenche l’opération « Attila », et la zone libre est envahie. La flotte française se saborde à Toulon le 27 novembre. Dans le Pacifique, la bataille des Philippines fait rage. Entre le 3 et le 7 juin, la flotte japonaise est défaite par les Américains au cours de la bataille de Midway. Début juillet, l’armée américaine débarque à Guadalcanal occupée par les Japonais, qui évacueront l’ile en février 1943. La reconquête du Pacifique est commencée.
Le bombardement du 9 novembre 1942 : Saint-Nazaire a déjà subi de nombreux bombardements, le premier d’entre eux par des bombardiers allemands dès le 12 juin 1940. Ceux-ci reprennent en 1941, de petites formations d’avions britanniques effectuent des raids, la plupart de nuit, sur le port et les chantiers. La base des sous-marins, dont 3 alvéoles sont construites dès la fin juin 1941, constituera également un objectif, bien qu’elle offre, étant donné sa construction, une grande résistance aux bombes alliées.
Vue aérienne de Saint-Nazaire en 1942 prise par la RAF. Imperial War Museum
On dénombrera pour 1941 37 victimes civiles, 13 tués et 24 blessés, au cours de 20 bombardements. En 1942, les bombardements de la R.A.F. se poursuivent et s’intensifient. Ils concernent les mêmes objectifs, auxquels s’ajoutent des opérations de mouillages de mines dans l’estuaire, ainsi que des repérages et photographies d’objectifs. Des bombes incendiaires sont utilisées dès le 7 janvier.
Les Américains, après leur entrée en guerre, transfèrent sur le sol britannique de nombreux avions, bombardiers et chasseurs, ainsi que pilotes, aviateurs et tout le personnel au sol, tout juste formés. Ils ont prévenu, par tracts et par radio, de l’imminence d’attaques aériennes sur les sites stratégiques en France, comme les bases de sous-marins, les gares de triage, les usines, les ports, en demandant aux populations de se tenir à distance de ces objectifs.
Un des ateliers de l’école d’apprentissage, début des années 30, SNAT-Ecomusée
Lorient a été bombardée le 21 octobre, Brest le 7 novembre. C’est au tour de Saint-Nazaire en ce funeste lundi 9 novembre 1942. La ville va connaitre son premier bombardement américain, et qui plus est, en plein jour. A l’école d’apprentissage, environ 180 apprentis âgés de 14 à 18 ans, sur les 220 que compte l’école, reprennent le travail en début d’après-midi, sous la surveillance d’une vingtaine de moiteurs. La sirène retentit à 13h45, mais les apprentis ne s’affolent pas, et regagnent joyeusement leurs abris situés dans le parc à tôles, dans la cour de l’école. Il y a déjà eu des alertes et ils prennent ça « à la rigolade ». Certains discutent entre eux du débarquement allié de la veille en Afrique du Nord. Ces abris au nombre de deux sont des tranchées profondes de 1,80m tracées en zig-zag et étayées par des madriers. Elles sont recouvertes d’épaisses tôles destinées aux bordés des navires. Quelques « indisciplinés » s’amusent même à compter les avions qui s’approchent et sont déjà la cible de la défense aérienne allemande. De nombreux témoins, tant à Saint-Nazaire que dans la région, entendent un énorme grondement et aperçoivent les forteresses volantes, en formation de combat, volant très bas et se dirigeant vers Saint-Nazaire.Les bombardiers, au nombre de 43 (31 B 17 F et 12 B 24 F) se présentent en deux vagues, l’une venant de la terre, l’autre de la mer, et ils vont larguer leur mortelle cargaison. Des bombes vont tomber sur l’abri situé le long de la Loire, dans le parc à tôles. Celles de la deuxième vague s’abattront vingt minutes plus tard sur les élèves rassemblés dans l’autre abri, dans la cour du réfectoire.
Tableau d’Emile Guiot, apprenti rescapé, représentant sa vision du bombardementdu 9 novembre 1942, SNAT-Ecomusée
Les témoignages des apprentis et du personnel rescapés nous permettent de mieux comprendre l’horreur de cet évènement . Quelques d’entre eux qui vont être cités plus en détail permettront de mieux comprendre le déroulement de cette tragédie. Emile Baron a 14 ans et est en première année. « On voyait dans le ciel bleu des points briller, c’étaient les avions qui arrivaient en formation, entourés des flocons blancs de la DCA. Quand je suis arrivé à l’entrée de la tranchée, j’ai vu les premières bombes tomber dans la Loire. Puis ça a été le chamboulement et le néant. Quand je me suis réveillé, j’ai entendu crier « les voilà qui reviennent. ». Et ça a recommencé. Je me suis évanoui. » Emile retrouve ses esprits après le passage de la seconde vague de bombardiers : « J’étais entouré de terre. Je voyais le jour, mais j’avais un pied coincé par un madrier. J’ai délacé ma chaussure, en vain. Ça gueulait derrière un mur de terre, j’ai fait un trou avec mon pied libre. Il y avait là Paul Laniel et Prosper Beauchêne. Ils ont pu passer la tête pour avoir de l’air ». Les trois adolescents sont dégagés vers 18h30. « Les sauveteurs déblayaient, mais on prenait des pelletées de terre sur la tête. J’étais à plat ventre. Un camarade était debout à côté de moi, enfoui jusqu’à la poitrine. Nous avons essayé de le dégager, en grattant avec la main, mais il a été enseveli ; Après nous, les sauveteurs n’ont sorti aucun survivant. Le lendemain matin, les corps qu’ils dégageaient étaient encore chauds. ». Emile souffre d’une blessure à la jambe et a le nez cassé.
Points de chûtes des bombes tombées entre 1941 et 1943 dans la zone
de l’école d’apprentissage. (livret des apprentis rescapés)
Joseph Michel a 15 ans. « On entendait les explosions. La terre s’est mise à vibrer. Quand les moniteurs sont sortis, ils sont revenus en nous disant : c’est tombé sur l’autre abri. Des apprentis et des moniteurs sont ensevelis. Les plus costauds sont allés les déblayer. Alors les avions sont revenus. J’ai regardé par la porte de l’abri, j’ai vu une gerbe de terre voler du côté du réfectoire. Je suis rentré dans l’abri. Puis plus rien, le néant. ». Joseph reste dix jours dans le coma. Il est amputé des deux jambes, l’une à cause de sa cheville complètement broyée, l’autre quelques jours plus tard pour stopper la gangrène. Après une rééducation, après la guerre, il reviendra travailler au chantier. Raymond Juvenot a 15 ans. Comme ses deux camarades, il est réfugié dans l’abri des apprentis chaudronniers et tôliers : « C’est alors qu’on a pris la purée. J’ai été enterré jusqu’au cou. Je n’ai même pas entendu les explosions. La bombe est tombée à 6 m de moi. La terre montait, montait… Ça va vite dans ces moments-là. Je me suis dégagé tout seul. Je n’avais pas de blessures, seulement le dos un peu noir. Il n’y avait plus personne. Puis le premier que j’ai aperçu était Joseph Michel, au fond d’un entonnoir. Les sauveteurs ont dû arriver dix minutes après. En attendant, j’ai essayé de le sortir, mais je ne pouvais rien faire Puis je ne sais plus ce que j’ai fait. J’ai erré et je me suis retrouvé en haut de la direction. Là, quelqu’un m’a offert un verre de Pernod. J’en avais bien besoin. Puis je suis revenu sur les lieux ». Henri Roide se trouve complètement enfoui après le passage de la première vague, seule sa tête ressort de terre : « J’ai repris connaissance après le passage de la deuxième vague. Je n’entendais rien, mais je voyais tout, des gens qui s’affolaient autour de moi. Je ne pouvais pas parler. Deux jambes sortaient de terre à un mètre de moi. Les sauveteurs m’ont dégagé, ils m’ont mis sur un brancard et m’ont transporté. Une bombe est tombée à l’endroit précis d’où ils m’avaient tiré. » Transporté sous la cale qui servit à la construction de Norrmandie, Henri souffre d’une fracture aux deux jambes et d’une blessure à la tête. Albert Thorel, apprenti de première année, se rend aux abris l’esprit tranquille, une fausse alerte ayant eu lieu quelques jours auparavant. Mais l’inquiétude le gagne très vite quand il entend les bombardiers au-dessus de sa tête. Il rejoint l’abri, où les apprentis s’entassent et où la peur les gagne. Sa curiosité de gamin l’incite cependant à se diriger vers une sortie de secours pour apercevoir les avions. Ne voyant rien, il revient vers l’entrée malgré les recommandations des professeurs. Au moment où la première bombe tombe, la secrétaire, Mlle Kergall, leur dit « Les gars, reculez, vous allez vous faire tuer. » Ce seront ses dernières paroles. Les bombes tombent dans tous les sens, et Albert ne se souvient de rien : il s’est évanoui. « Quand je repris connaissance, je me rendis compte que j’étais enterré. Il ne me restait plus que la tête dehors et les deux bras en l’air, je ne pouvais plus respirer sous les tôles qui devaient nous protéger ; c’était affreux, les uns criaient en appelant « maman, maman ! », d’autres priaient pour qu’on vienne nous sortir ; un camarade qui ne savait pas prier demanda comment faire. Un autre de lui répondre « Répète après moi ». Un autre encore s’inquiétait de son frère qui, je devais l’apprendre plus tard, était parmi les victimes ». Albert ne sait pas combien de temps a duré ce cauchemar, toujours présent dans sa mémoire. Il ne peut plus respirer et perd à nouveau connaissance. Il revient à lui sur la civière qui l’emmène vers le poste de secours. Il voit alors les premiers morts. La deuxième vague survient alors qu’il vient d’arriver au poste. Les bombes tombent dans la même zone. Ses camarades et lui qui viennent d’être dégagés doivent à la rapidité des secours d’être encore en vie.
Les trois frètes Thorel, Albert est à droite, coll. Françoise Thorel-Tattevin
Une fois l’alerte terminée, il rejoint l’infirmerie à pied avec quelques rescapés, marchant sur ses chaussettes, ses chaussures étant restées dans la tranchée. Le petit autobus des ingénieurs les transporte à l’hôpital. Il souffre des reins et sa bouche est pleine de terre. Il ne réalise pas encore ce qui lui est arrivé et a de la peine à croire qu’il est vivant. Une fois alité, avant que le docteur ne l’examine, c’est la longue visite des mères cherchant désespérément leur fils et qui le regardent longuement en le questionnant, moment très pénible pour lui. Ses frères ayant appris qu’il est rescapé le recherchent également, et passent plusieurs fois devant lui avant de le reconnaître. Sur l’avis du docteur, ils le ramènent à la maison où un médecin diagnostique des contusions aux reins. Le 11 novembre, de retour sur les lieux, à la vue du spectacle de désolation et de mort qu’offrent les tranchées bouleversées, il se demande comment il a pu sortir vivant d’une telle catastrophe. Toute sa vie, Albert restera hanté par les souvenirs de ce drame. Quelques jours avant son décès en 2017, il évoquait encore à ses proches la vision des avions dans le ciel qui ne l’avait jamais quittée.
Le délicat travail des sauveteurs
Tôlerie et cours d’apprentissage, juin 1945, SNAT-Ecomusée
Fernand Michel, jeune ouvrier électricien tout juste sorti de l’apprentissage, se trouve à l’atelier de tuyauterie au moment du bombardement. Avec un camarade, Henri Perrais, ils se dirigent vers la zone bombardée, aperçoivent un premier ouvrier tué près du parc à tôles. Ils aperçoivent alors la tranchée-abri, complètement refermée, enterrant vivants ses occupants dans un mélange de terre et de bois de coffrage. Avec trois autres sauveteurs, ils prennent en charge Henri Roide qui vient d’être dégagé et placé sur un brancard. Ils se dirigent vers le poste de secours de la cale Normandie, quand apparait la deuxième vague d’avions., volant en formation impeccable au milieu des tirs de D.C.A. L’avion de tête lâche une fusée qui descend vers le sol, suivie d’une trainée de fumée blanche. C’est le signal, alors toute la formation largue ses bombes qui tombent en grappes dans un sifflement impressionnant. Ils s’abritent au sol du mieux qu’ils peuvent, ressentent dans tout leur corps l’onde de choc des explosions, une bombe tombe à 20 m d’eux. La dernière vague d’avions largue ses bombes, dans la Loire, puis s’éloigne vers l’est, la D.C.A. cesse ses tirs. Alors un silence pesant règne dans l’immense parc à tôles après tout ce vacarme. Des ouvriers se relèvent, hébétés, ne voulant pas croire que c’est la fin du cauchemar. Il faut alors remettre en service une grue du parc à tôles endommagée par les éclats de bombes, afin de soulever les lourdes tôles de protection pour dégager les victimes. La nuit tombe vite en novembre, et un éclairage provisoire est installé, les Allemands le font éteindre, prétextant une nouvelle alerte. Deux apprentis sont malgré tout dégagés, dont Prosper Beauchène. Avec son copain, ils sont restés enterrés plus de quatre heures, au milieu d’autres apprentis se cramponnant désespérément à eux sous la masse de terre qui les étouffait. Comme tous les blessés, ils sont transportés à l’hôpital, par les ambulances de la Défense Passive ou des pompiers. A leur arrivée, les familles se jettent littéralement sur eux en espérant reconnaître un des leurs.
Le terrible bilan : Dès la fin de l’après-midi, les cadavres des apprentis, des personnels d’encadrement et des ouvriers sont rapidement examinés par les médecins du chantier ainsi que ceux de Saint-Nazaire qui sont accourus. On les dépose ensuite sur un camion avant de les transporter à l’hôpital. Un des sauveteurs, moniteur d’apprentissage, aperçoit un de ses élèves, complètement inerte, mais dont les yeux semblent remuer. Il demande alors aux médecins présents de décharger le corps du jeune homme pour le ranimer. Le docteur Francheteau, médecin du chantier, fait les gestes nécessaires et le présumé mort reprend connaissance, Miracle ! Il est blessé, mais vivant. Ce jeune, c’est Henri Roide, qui avait été transporté au poste de secours, et qui doit son salut à la présence d’esprit de son prof ! Il est gravement blessé aux jambes et sera soigné à l’hôpital de Malestroit.
Les obsèques des apprentis trignacais, coll. Michel Mahé
Le lendemain matin 10 novembre, il y a de la glace. Les sauveteurs continuent de fouiller et de nouveaux cadavres sont découverts au milieu des décombres. Ferdinand Michel, avec l’ambulance de la Défense passive transporte vers l’hôpital deux corps d’apprentis encore tièdes. Certaines familles viennent sur les lieux, dans l’espoir de retrouver leur fils, et se mettent à fouiller dans ce qui reste des tranchées-abris. On retrouve encore des cadavres, mais ce sont plus souvent des débris humains que les sauveteurs recueillent pour les transporter à la morgue. Certains apprentis sont méconnaissables, car ils sont morts par asphyxie, leurs têtes sont noires et enflées. Les victimes ne sont identifiables que par leurs vêtements, ou par leur « marron ». Beaucoup d’entre eux ont été brûlés par l’acide des bonbonnes stockées à proximité des abris L’identification des victimes à l’hôpital de Saint-Nazaire ainsi que la reconnaissance par les parents donnent lieu à des scènes déchirantes, dont certains des apprentis hospitalisés seront les malheureux témoins. Les corps des victimes sont alignés côte à côte dans la chapelle de l’hôpital, dans leur tenue de travail, recouverts en partie d’un drap. Le 11 novembre, on les dépose dans les cercueils fournis par les pompes funèbres, ainsi que par les ateliers de menuiserie des chantiers et de l’aviation. Le 12 novembre est le jour des obsèques pour les victimes nazairiennes. Faute de corbillards suffisants, des camions de la S.N.C.A.S.O. portent les cercueils empilés les uns sur les autres comme des caisses de marchandises. Dans le dernier camion, de petites boites contiennent les restes non identifiés. Les cercueils alignés remplissent l’église Saint-Nazaire. Toutes les familles ne pourront assister à l’office funèbre tant la foule est nombreuse. De sourdes rumeurs s’élèvent quand des officiers allemands s’approchent avec des fleurs. Le Préfet prononce une allocation dans une atmosphère tendue, et il est hué quand il parle maladroitement des « oiseaux de mort qui viennent dévaster la France ». A la sortie de l’église, le cortège à pied se forme. Le convoi fait une halte au cimetière de la Briandais, où les cercueils sont portés vers le centre à l’épaule. Puis la cérémonie se termine au cimetière de Toutes Aides où sont inhumées la plupart des victimes.
Une bombe non explosée retrouvée en 1945, livret des apprentis rescapés
Les mêmes cérémonies se déroulent dans toutes les communes d’où sont originaires les apprentis. La population manifeste toute sa sympathie devant ce terrible drame. Les apprentis reposent dans 21 cimetières, à Saint-Nazaire et dans la région proche. Les blessés, pris en charge par les médecins des chantiers, comme le docteur Francheteau, et les sauveteurs de la Défense Passive, sont soignés après leur entrée à l’hôpital par le personnel qui fait le maximum afin de les soulager, ainsi que par les médecins, parmi lesquels les docteurs Avril, Jagot, Poussier, Gentin, Allaire, Jacquerot. On dénombre finalement parmi les morts 134 apprentis, 10 chefs d’atelier, contremaîtres, moniteurs ou aides-moniteurs, employés d’apprentissage, ainsi que 19 ouvriers du chantier. En ajoutant les victimes civiles en dehors des chantiers navals, le bilan de ce jour funeste se monte à 186 morts et 129 blessés Les apprentis rescapés seront en grande partie victimes après cette journée tragique de ce qu’on nomme aujourd’hui les troubles du stress post-traumatique, se traduisant par une grande souffrance morale, des complications physiques, qui altèrent profondément la vie personnelle, sociale et professionnelle. Il n’y a pas non plus encore de psychologues qui pourraient les prendre en charge et atténuer leurs problèmes. Pour eux, l’émotion sera toujours présente à chaque évocation de ce terrible drame. Certains d’entre eux, par la suite, s’orienteront vers d’autres activités, mais la plupart termineront leur apprentissage au chantier. Et que dire des familles des apprentis décédés. Elles vivront le même calvaire tout au long de leur vie, en pensant sans cesse à leur cher enfant, quelquefois unique, disparu au cours de ce terrible bombardement. Le mois de novembre 1942 voit se poursuivre les bombardements sur Saint-Nazaire. Le 14 on déplore 8 morts et 15 blessés, le 17 les chantiers sont de nouveau visés, on compte 78 morts, pour la plupart des ouvriers et 200 blessés. Le 18, on déplore 2 morts et 17 blessés, et enfin le 23 sur Trignac et Saint-Nazaire, où on compte 17 morts et 17 blessés.
Les victimes de Montoir :
Les apprentis décédés :
Marcel Cabane à 11 ans, livret des apprentis rescapés
CABANE Marcel : né le 13-6-1928 : apprenti 1ère année habitait 50 rue Jules Verne à Montoir LEGRALL Marcel : né le 5-5-1928 à Montoir apprenti 1ère année habitait 157 rue Anatole France à Gron. Il fréquentait l’ecole Paul Bert de Méan.Il parlait le breton. Marcel avait la tête bandée conséquence supposée de l’acide qui s’était déposé sur les tôles couvrant les abris. DESMARS Jean : né le24-12-1927 à Trignac habitait 17 rue de Chateaubriant à Montoir. MESTRIC Marcel : né le 2-1-1927 à Montoir, habitait Loncé.
Marcel Le Grall, coll. Nadège Atinault
DAVID André : né le 10-4-1928, habitait 31 rue Anatole France à Gron.
Les rescapés de ce bombardement : SURZUR Emile : Emile à été sauvé par Lucien Briand qui était au dessous de lui dans les gravats de la tranchée. ALLAIRE Paul : né en janvier 1926 apprenti chaudronnier, Paul est rentré en retard à l’apprentissage à la suite d’une appendicite. Il a été scalpé par un éclat lors du bombardement. BRIAND Lucien : apprenti 2ème année chaudronnier. THOREL Albert : était en 1ère année a été blessé au dos
Un ouvrier venu secourir : M. BARBATEAU Roger : décédé 10 jours après le bombardement, des suites de ses blessures.
Le drame aurait-il pu être évité ? En juin 1942, la municipalité de Saint-Nazaire, au vu du risque lié à l’imminence d’attaques aériennes massives, propose à la direction des chantiers de délocaliser les cours d’apprentissage, installés sur le site si exposé du chantier naval. La direction refuse au prétexte que cela aurait désorganisé le travail. Quelques jours après le drame, un des parents bouleversés prend sa plume pour écrire au directeur des chantiers de Penhoët. « C’est avec tristesse que nous avons le devoir de vous faire connaître les sentiments de toutes les familles endeuillées, pleurant la mort de petits enfants confiés à vos soins sur le chantier de Penhoët », écrit-il. Dans cette lettre bouleversante, les familles s’octroient : « le droit de demander des explications et le devoir de vous accuser de ne pas avoir su organiser des abris contre les bombardements ». Il ne faut pas oublier que l’Allemagne nazie est la première responsable de tous ces décès. Mais la polémique qui est née à la suite du drame n’a guère épargné l’Etat-major allié, coupable d’avoir mené cette opération en plein jour. Quant aux responsables des chantiers, ils se doivent de répondre à cette question des abris, peut-être suffisants au début de la guerre, mais qui « ne répondent plus à la réalité des bombardements ». Les abris étaient manifestement inadaptés, et les apprentis y sont restés piégés et recouverts de terre et de gravats, dans ces tranchées meubles, non cimentées sur le fond et sur les côtés, sur lesquelles étaient posées deux couches de 2 cm d’épaisseur. Ce « blindage » de 40 mm n’a pas résisté aux bombes de 500 kg larguées par les Américains. Trente-cinq impacts seront relevés au sol dans un rayon de 500 m. La présence d’acide à proximité des abris ravive la douleur des parents qui s’interrogent : « Pourquoi fallait-il que des bonbonnes d’acide fussent posées sur les tranchées ? Pourquoi ? De pauvres petits furent brûlés, ce qui ajoute à l’horreur de leur agonie »
La mémoire du drame : Dans tous les cimetières de la région nazairienne, chaque année, le 9 novembre, une cérémonie a lieu en souvenir des victimes fauchées en pleine jeunesse, il y a maintenant 80 ans. Une stèle au cimetière de Toutes Aides à Saint-Nazaire perpétue le souvenir.
Le mémorial de Toutes-Aides, coll. Michel Mahé
Créée en 1961 pour obtenir réparation, l’association des Parents des victimes et rescapés organise chaque année la commémoration et fleurit les tombes de leurs malheureux camarades. Diverses actions ont été entreprises, en lien avec l’éducation nationale ou avec des municipalités, pour que la mémoire perdure. « Malgré leur grand âge, les derniers rescapés s’efforcent de toujours commémorer cet évènement douloureux. Nous souhaitons toujours retrouver les familles et témoins pour retracer la courte vie des jeunes victimes de ce bombardement » indiquait il y a quelque temps Serge Paquet, président de l’association, dans un article d’Ouest-France.
L’inauguration du mémorial nazairien en 2019, Photo Ouest-France
Un projet a été réalisé il y a dix ans avec les collégiens du Collège Julien Lambot de Trignac, auquel ont participé Joseph Michel et Paul Guiho, rescapés du bombardement. Les jeunes élèves se sont fortement intéressés à ce drame dans lequel des adolescents de leur âge avaient péri. Le 9 novembre 2019, un mémorial a été inauguré aux chantiers de l’Atlantique, le long du chantier naval, rue de la prise d’eau à l’emplacement où se situait l’école d’apprentissage, en présence du maire David Samzun et de Joseph Michel, dernier survivant des apprentis rescapés. Celui-ci est décédé en mars 2022 à l’âge de 94 ans. En 2021, la municipalité de Montoir a pris l’initiative de faire poser une plaque au cimetière du bourg, portant le nom des 5 apprentis montoirins décédés. En cette année 2022, le projet d’érection d’une stèle, toujours à Montoir de Bretagne, s’est concrétisé à l’initiative de la municipalité. Cette œuvre du sculpteur Bernard Larcher a été inaugurée au cimetière de Montoir le 9 novembre 2022, à l’occasion de la cérémonie qui marquait l’anniversaire des 80 ans de ce drame, et en présence de quelques familles d’apprentis décédés ou rescapés, ainsi que des apprentis de l’EPAN (Ecole de Production de l’Agglomération Nazairienne) de Montoir de Bretagne. Dans les cimetières de toutes les communes où reposent les apprentis, des cérémonies ont également eu lieu.
L‘inauguration de la stèle à Montoir le 9/11/2022, coll. Michel Mahé
Enfin, une autre cérémonie s’est déroulée le samedi 12 novembre à 14h00 pour les 16 communes touchées sur le lieu même du bombardement là où se trouve le mémorial. La société M.A.N. a accueilli les participants dans la cour devant les ateliers. Tous se sont recueillis devant la stèle située avenue de la prise d’eau, proche de l’endroit où eut lieu le bombardement, devant la société M.A.N. 12 apprentis du lycée André Boulloche ont égrené les noms des 134 victimes avant le dépôt des gerbes. Je voudrais citer pour terminer une phrase tirée du témoignage de Monsieur Guiot, apprenti rescapé de Pontchâteau, et parlant des Américains, envers lesquels la population nazairienne gardera longtemps de la rancœur : « Nos libérateurs ne venaient pas pour anéantir la population, mais dans le but précis de réduire à néant les points stratégiques
Une partie de l’équipage du B 17 Man ‘O War, disparu en mer
après le bombardement du 9 novembre 1942, coll. Richard Weaver
construits par l’occupant allemand, en particulier la base sous-marine ». 22 jeunes aviateurs américains, âgés d’une vingtaine d’années, périrent également en ce 9 novembre. En ces temps troublés, marqués par de nombreux conflits dans le monde, où de nouveau une guerre se déroule en Europe, ce devoir de mémoire est plus que jamais nécessaire, afin de ne jamais oublier cette période douloureuse de la deuxième guerre mondiale où notre pays a tant souffert, mais aussi pour délivrer un message aux jeunes générations. Bâtir un monde solidaire, un monde de Paix, ce sont les objectifs qu’elles doivent se donner.
Bibliographie et sources : Presse-océan novembre 1992, article de Jean-Claude Chemin Presse-Océan du 09/11/2002, article de Franck Labarre Ouest-France du 09/11/2012, article de Frédéric Salle En Envor, La Bretagne zone de bombardement durant la deuxième guerre mondiale, Erwan Le Gall Fernand Guériff, Historique de Saint-Nazaire, tome 2, Imprimerie de la Presqu’ile Guérandaise, 1963 9 novembre 1942, Saint-Nazaire sous les bombardements, plaquette coordonnée et saisie par l’Ecomusée de Saint-Nazaire, Imprimerie municipale Saint-Nazaire, 1992. Aremors, Etudes et Documents, Saint-Nazaire et le mouvement ouvrier de 1939 à 1945, imprimerie Atlantic offset, 1986 Michel Lugez, Missions de bombardements américains sur Saint-Nazaire, Editions Ouest-France, 1998
Remerciements à Monsieur Serge Paquet, président du groupement des apprentis rescapés, pour son aide précieuse et pour la fourniture de documents.
Estienne ( Étienne) Chaillon, est né le 8 avril 1736 au village du Pin, en Guersac, commune de Montoir. Il était le fils unique d’Estienne Chaillon, capitaine au long cours, qui mourut en mer, et de Perrine Vince.
Étienne Chaillon a reçu une éducation soignée et fut admis Avocat au Parlement de Rennes. Il vient s’établir à Montoir en 1762 lorsqu’il épouse Julienne Olliveau. Elle lui a donné 15 enfants. 9 ont survécu après la naissance. Elle décède le 1er avril 1790, à l’âge de 47 ans. Il se remarie en 1795, avec Eulalie Bouillet, âgée de 40 ans, nièce d’un médecin de Cordemais.
Il a exercé diverses fonctions:
En 1765, il est notaire des juridictions de Donges, de Martigné, de l‘Angle et de Sévigné. En 1766, il devient procureur fiscal de la juridiction d’Heinlex, en 1769, de celles de Bratz en Montoir, Trégonneau, Chateauloup et Kercabus. En 1769, il est sénéchal de Crossac, de Savenay, de la vicomté de Saint Nazaire et la baronnie de Marsaint.
Très travailleur, honnête et consciencieux, il acquit une grande notoriété dans la région.
Le 11 octobre 1774, il est nommé procureur spécial par les habitants de Montoir et de Saint Joachim pour s’opposer au dessèchement des marais souhaité par la Société Debray et Cie.
Le 11 juillet 1775, il présente aux commissaires, un long document avec tous les éléments possibles, côtoyant le sérieux et le déraisonnable, et les contre-vérités. La dernière partie du document est signée du Me Chirurgien Emmanuel Ollivaud qui soulignent les dangers que le dessèchement pourrait faire courir à la santé publique, à une époque où l’on a déjà bien conscience de la nocivité des marécages et des eaux stagnantes.
Étienne Chaillon, le révolutionnaire.
Ouvert aux idées nouvelles qui commencent à se faire jour en France, il se laisse tenter par la politique.
Le 4 novembre 1788, avec 11 de ses collègues Nantais, il part pour Versailles à la préparation des États Généraux. Le 1er avril 1789, il est chargé de la rédaction des Cahiers de Doléances des sénéchaussées réunies de Nantes et de Guérande. Il est le rédacteur de celui de Montoir dont l’ autre particularité, est qu’il est signé par des femmes, les hommes étaient en mer.
Des extraits du cahier Montoirin :
« Nous demandons la transformation des États Généraux en une Assemblée Nationale Constituante. Que le Tiers État soit déclaré nul avec une seul ordre, ni noblesse, ni clergé. Les impôts et les charges seront également répartis et supportés par l’ensemble des sujets de sa Majesté Roi. Seule la Loi sera citée et exécutée. Les francs fiefs, maîtrises et jurandes seront supprimés. La justice sera rendue gratuitement, et tout accusé aura droit à un avocat de son choix. La France aura deux codes, le code civil et le code criminel. La dîme ecclésiastique sera supprimée, mais la paroisse devra attribuer au recteur et au vicaire une pension. Nul sera censé pauvre s’il peut gagner sa vie et qui pris à mendier sera soldat sur terre ou en mer et les filles seront occupées à des travaux utiles dans des maisons destinées ».
Dernière page du cahier de doléances de Montoir rédigé par Etienne Chaillon et signé par Perrine Houget, Marie Fouré, Perrine Maillard, Perrine Fesnaux, Jeanne André et Pérrine Gouin.
Il est élu député du Tiers-état aux États généraux et membre de la première Assemblée Nationale Constituante du 20 avril 1789 jusqu’au 30 septembre 1791. Il ne reviendra en Brière qu’en octobre 1791, après que la constituante se fut séparée. Le 23 février 1792, il est nommé commissaire pour l’assiette des contributions foncières et mobilières de Montoir, Saint Joachim, Crossac et Saint Nazaire. En juin 1792, c’est l’ « affaire de Pendille », à Saint Joachim dont il est le principal instigateur et le premier responsable de cette déroute.
L’affaire de Pendille, c’est l’affrontement qui eut lieu dans la nuit du 2 au 3 juin au village de Pendille à Saint Joachim entre les habitants et une troupe d’hommes, dragons et gardes nationaux menés par Étienne Chaillon. Pour comprendre l’origine de cette affaire, il faut se souvenir que Chaillon est alors dans une situation ambiguë. Sans mandat officiel entre ses deux députations à la Constituante avant et à la Convention après, il est de passage à Montoir pour quelques mois. Il se rend compte du fossé qui s’est creusé entre lui et le peuple, et veut se rendre utile. Il ne comprend pas sa réaction et décide de le mater. A Pendille, il se fait piéger et perd la bataille.
Le 4 septembre 1792, il est élu député de la Loire Inférieure à la Convention. Il quitte alors Montoir avec deux de ses filles et une domestique Briéronne, pour s’installer Rue Saint Honoré chez le graveur Helleman…. « Et le voilà mêlé au grand flot révolutionnaire, à la terreur ». Le 16 janvier 1793, lors du vote à la convention sur la peine encourue par Louis XVI, il déclare : « Je suis convaincu que mes commettants ne m’ont pas envoyé pour juger, pas plus que pour exercer les fonctions de juré, mais pour faire des lois. Je tiens mon mandat d’hommes justes, ennemis de la tyrannie et qui auraient rejeté loin d’eux cette cumulation des pouvoirs. C’est donc comme homme d’État et pour mesure de sûreté générale que je vote pour la réclusion d’abord et pour le bannissement après la guerre. Je m’oppose à la mort de Louis, précisément parce que Rome la voudrait pour le béatifier ».
Cette attitude lui valut un décret d’accusation. Mais atteint d’une fièvre infectieuse, Étienne Chaillon est alité. Or, coïncidence heureuse, ce fut son médecin, membre du Comité de Salut Public, qui fut chargé de l’arrêter et qui le sauva en déclarant : « Inutile de guillotiner ce bougre-là, il est foutu ».
La Terreur passa et Étienne Chaillon se rétablit.
En février 1795, il participe aux négociations menées à l’instigation du Général Hoche, s’appuyant sur les promesses d’amnisties de la Convention. Ces négociations se déroulent entre les représentants en mission, Chaillon et Gaudin, les Généraux Canclaux et Beaupuy du côté républicain et les chefs Vendéens, Charette à leur tête.
Signature d’Etienne Chaillon
Le 26 février 1795, un traité est signé avec des clauses avantageuses pour les Vendéens, au Manoir de la Jaunaie à Saint Sébastien sur Loire. Nommé membre du Conseil des Anciens, il habitait rue Caumartin, à Paris. Il y décède le 3 avril 1796, à l’âge de 59 ans.
Une place lui est dénommée à Montoir de Bretagne. Elle se situe au carrefour de la rue de Normandie et la rue du Maine. Mais, Étienne Chaillon a vécu à Montoir, place de l’église. Une question se pose : Quelle était sa maison. Au 10, rue Pierre Curie, face à la sortie de l’église, la maison a été habitée par son petit fils Alphonse Chaillon, docteur, décédé en 1861. Fernand Guériff, dans ses écrits sur l’histoire de Montoir, déclare à propos de la maison du n°4 de la même rue : « Traditionnellement, on attribue cette maison à Étienne Chaillon ». Mais le propriétaire actuel précise qu’il y a de gravé dans la pierre de son habitation « 1831 ». Y avait-il une autre maison sur ce lieu ?
La maison du 10 au début du XXe siècle, devenue une pharmacie, puis en octobre 1966 et aujourd’hui,
et celle du 4 au début du XXe siècle ( au centre) et aujourd’hui.
Sources : Balade autour du Pin par l’association Le Pas de Saint Malo. Histoire de Montoir par Fernand Guériff. Promenade dans le passé de Montoir de Bretagne (OSCM). Extraits de la base Généalogique des Brières d’Yves Moyon.
De la construction des navires en bois à la construction navale en métal : Le rôle des Frères Pereire : « La Compagnie Générale Transatlantique »
A u début du 19ème siècle St Nazaire n’était qu’une bourgade de pécheurs et, c’est sur la commune de Montoir notamment à Méan que se construisaient les navires en bois ( Goélettes, Bricks, Chasses marées ….Etc.).
La décision prise par Napoléon III de construire un port à bassins à flots en 1847 transformera le mode de construction des navires de l’époque
Dans ce changement Emile Pereire (Jacob Rodrigue Émile) né le 3 décembre 1800 à Bordeaux et Isaac Pereire (Isaac Rodrigue) né le 25 Novembre 1806 également à Bordeaux , entrepreneurs et hommes d’affaires français jouèrent un rôle capital
Proche de l’empereur Napoléon III, ils auront l’autorisation de créer par décret « la Société Générale de Crédit mobilier », Banque rêvée depuis vingt ans par les Pereire. dont le but était de drainer l’épargne vers l’industrie et le commerce .
En 1855, ils créeront la Compagnie Générale Maritime et, ils s’inscriront dans un courant d’industriels français qui à cette époque, se lançaient dans de grandes entreprises.
Le besoin d’une marine marchande française se faisant pressant, la Société Générale de Crédit Mobilier deviendra le principal actionnaire de cette nouvelle compagnie.
La Compagnie Générale Maritime sera officiellement créée le 24 février 1855, avec des statuts qui lui donneront pour but: » Toutes opérations de construction, d’armement et d’affrètement de tous navires et en général toutes opérations de commerce maritime «
Les débuts de la compagnie seront particulièrement difficiles du fait des difficultés relatives à la mise en place des lignes maritimes . Le capital de celle ci se trouvera de ce fait presque épuisé
Après cette quasi-faillite, les Péreire comprendront qu’à, l’exemple de la compagnie anglaise « CUNARD’ qu’ils auront tout intérêt à se recentrer sur un service de paquebots financé par des conventions postales.
Napoléon III, séduit par le concept, en proposera un certain nombre sur le marché mais, les frères Péreire les refuseront les jugeant trop faibles. De ce fait, nombre d’armateurs , se retrouveront en difficulté dès 1860.
C’est le moment que choisira Isaac Péreire pour renégocier sa convention avec l’État.
Au travers de cette nouvelle convention, la Compagnie générale maritime s’engagera à desservir pendant vingt ans des lignes transatlantiques : Le Havre – New York (avec escale à Brest), Saint-Nazaire – Isthme de Panama et trois services annexes pour la Guadeloupe, le Mexique et Cayenne : (Il faut préciser, qu’à cette époque le transport de passagers et du courrier sont réalisés par les mêmes navires)
Ils s’engageront d’autre part, à construire au moins la moitié de leur flotte en France.
En contrepartie de ces engagements, l’État leur versera, une conséquente subvention annuelle.
En 1861, un décret impérial changera le nom de la Compagnie Générale Maritime en » Compagnie Générale Transatlantique, aux fins de mieux coller aux nouvelles orientations. Ce sera le début de la grande épopée de « La Transat »
La construction des premiers navires (au nombre de 6 )débutera à l’étranger, notamment avec le Washington, premier paquebot de la ligne de New York car les prix pratiqués, étaient moins élevés que ceux pratiqués par les chantiers Français.
Fort de ce constat, les frères Péreire prendront donc la décision d’acquérir des terrains à Saint- Nazaire pour y fonder les Chantiers et Ateliers de Saint-Nazaire (qui deviendront par la suite les Chantiers de Penhoët)
Le démarrage de l’activité, se fera avec le concours des ingénieurs des chantiers écossais de John Scott qui fourniront leur expertise aux ouvriers et architectes navals français
A cette époque, les chantiers ne construiront que les coques des navires. Les machines étaient elles achetées au Creusot
C’est ainsi que prendra la fin de la construction des navires en bois des chantiers du Brivet. Mais ,la main d’œuvre Briéronne Charpentiers, Calfateurs se reconvertira et prendra la direction des chantiers et ateliers de Saint Nazaire passant du bois au métal
En 1862, deux ans avant la date prévue, le paquebot Louisiane inaugurera la ligne vers le Mexique, saluant ainsi la première réussite de la « CGT ». Cette ligne était particulièrement attendue par le pouvoir, dans le cadre de l’intervention militaire Française au Mexique
Le départ du Louisiane de Saint Nazaire
En 1864, ce sera au tour du service postal à destination de New York d’être inauguré avec le Washington, puis, ensuite avec, le France (premier du nom) et ensuite l’Impératrice Eugénie.
Ces navires, d’une centaine de mètres de longs étaient équipés de roues à aubes. Trois ans plus tard, ils seront modifiés pour adopter une propulsion à hélices réduisant de ce fait la consommation de charbon (combustible utilisé à l’époque)
L’impératrice Eugénie (dont une maquette se trouve au musée de la marine en bois à Montoir)
En 1867, une gare ferroviaire monumentale sera construite à proximité des quais où seront amarrés les paquebots (l’actuel quai Péreire). Saint-Nazaire deviendra alors le port français de l’Atlantique le plus proche de Paris pour les passagers
Par la suite ,les Frères Péreire réaliseront de nombreuses opérations immobilières, avec la création de la Société immobilière. en participeront à la modernisation de Paris engagée par le préfet Haussmann ( une des grandes réussites du second empire)
De 1862 à 1973, 483 navires paquebots et cargos, ont arboré le pavillon rouge de la Compagnie Générale Transatlantique sur toutes les mers du monde.
Epilogue
Le 23 février 1977, l’état qui était aussi l’actionnaire de la Cie des Messageries Maritimes qui elle desservait l’Orient et l’Asie fusionnera celle ci avec la Compagnie Générale Transatlantique, les incorporant dans la Compagnie Générale Maritime qui avait été créée par décret en décembre 1973 et qui restait une coquille vide.
La CGM était sur les rails.
Les couts de la main d’œuvre portuaire qui chargeaient et déchargeaient les cargos transportant les marchandises diverses étant très élevés, la compagnie fit évoluer sa flotte remplaçant ceux ci par des navires rouliers et porte conteneurs
Ces navires nécessitaient l’utilisation moins de main d’œuvre et les temps d’escales était plus que réduits, ce qui assurait de ce fait une meilleure rentabilité .
Malgré cela, en 1996, le Président Chirac désengagera l’état et cédera pour une somme dérisoire la CGM « Compagnie Générale Maritime » à l’armateur Libanais Jacques Saadé installé à Marseille qui la fusionnera avec la Compagnie Maritime d’Affrètement, dont il était le propriétaire
La nouvelle entité qui prendra le nom de CMA-CGM, deviendra au fil des années l’une des plus grandes entreprises mondiales de transport de fret par voie maritime se hissant au rang de troisième armateur mondial
En octobre 2020, la ville du Mans, dans la Sarthe a donné le nom de Marie Oyon à l’un de ses boulevards. Marie Oyon, qui, avec Alexandre, son mari, fut une héroïne de la Résistance, avant d’être, à la libération, la première Sarthoise élue députée et sénatrice.
Marie Anastasie Tunney est née au village de Gron à Montoir de Bretagne le 31 décembre 1898. Elle était la fille de Félix Tunney, sujet anglais, fondeur, peut-être aux Forges de Trignac ou aux fonderies de Saint Nazaire. Sa mère, Marie Anasthasie Nouri, tailleuse, était la fille d’André Nouri, 1846-1877 et d’Anastasie Désirée Couthouis 1849-1911.
Les Nouri ou Noury sont des familles bien connu à Montoir de Bretagne.
Marie perd ses parents très tôt. A 16 ans, elle débute comme sténodactylo. Quelques années plus tard, elle cherche du travail dans la Sarthe. Elle y rencontre Alexandre Oyon, agent d’assurances. Ils se marient au Mans, le 7 juin 1919 et s’installent dans le quartier du Miroir. Ils ont deux enfants. Tous les deux sont engagés en politique. Elle est militante socialiste. Alexandre, lui, devient l’adjoint au maire. Fidèles à leurs engagements, durant l’Occupation, ils entrent tous les deux dans la résistance. Ils sont arrêtés par la Gestapo en décembre 1943 et déportés. Alexandre décède dans le camp de Mautausen, en Autriche, le 27 mars 1945. Marie revient, atteinte physiquement, mais vivante du camp de Ravensbrück, ses activités de comptable et d’agent d’assurances. Marie reprend également ses activités politiques chez les socialistes.
Elle fut conseillère municipale du Mans de 1945 à 1949 et membre de la première assemblée constituante d’octobre 1945 à juin 1946/ Marie Oyon décède au Mans, le 11 octobre à l’âge de 70 ans.
Une rue à son nom à Montoir de Bretagne
Tout comme la Montoirine Yvonne Herveau, qui réalisait sur sa machine à écrire, la nuit, aux Forges de Trignac, un journal clandestin « Radio Espoir » lors de la Poche de Saint Nazaire et qui a sa place, dans la salle du XXe siècle au Musée de la Marine en bois du Brivet à Montoir, Marie Oyon pourrait avoir une rue à son nom parmi les résistants déjà nommés : Guy Mocquet et Christiane Cabalé.
Une petite histoire dans la Grande Histoire :
Un incident lors de la sortie du cuirassé Jean-Bart
19 juin 1940
par Yves-Marie Allain
Il s’agit d’un souvenir de famille que mon grand-père paternel m’a raconté. Mon grand-père, Emile Jules Allain (né et mort à Rezé, 1891 -1974) fit toute sa carrière comme marin. Le 9 mai 1904, il est enregistré, comme inscrit maritime provisoire. Il est alors âgé de 12 ans et demi et a son certificat d’études en poche. A 18 ans, il est enregistré comme Inscrit maritime définitif. Lors de son service militaire, dans la marine à Brest, il obtient son Brevet d’officier mécanicien de seconde classe de la Marine marchande le 24 janvier 1914.
Emile Jules Allain
A compter de cette date, ses séjours à terre seront peu nombreux avec des voyages au long cours, au cabotage international et au cabotage. Lorsqu’il n’est pas en haute mer, il est sur l’un des remorqueurs de l’Union des remorqueurs de l’océan (URO) du port de Saint-Nazaire, comme chef mécanicien. Le dernier débarquement figurant sur son Livret professionnel maritime est le 30 juillet 1958, à l’âge de 67 ans, soit 55 ans après son premier embarquement ! Bien qu’évoquant fort rarement ses voyages et encore moins les anecdotes, incidents, histoires diverses, il lui arrivait d’en parler alors que, durant les vacances scolaires à Saint-Nazaire, je l’accompagnais jusqu’à son remorqueur.
Emile Jules Allain devant son remorqueur à Saint Nazaire
Parmi les quelques anecdotes de sa vie de marin, celle de la sortie du Jean Bart dans la nuit du 19 juin 1940 alors qu’il était comme chef mécanicien à bord du remorqueur Pornic.
Il ne s’agit pas ici de raconter l’épopée de ce cuirassé, mais seulement ce qu’a vécu l’équipage de l’un des remorqueurs au moment de cette sortie précipitée de Saint-Nazaire. Parmi les remorqueurs ayant participé à l’opération, on trouve 3 remorqueurs du Havre et 4 de Saint-Nazaire, Hoedic, Glazic, Pornic, Piriac.
Le remorqueur Croisic dans le port de Saint Nazaire
Sans pouvoir préciser le moment où il prit la remorque, le Pornic était placé derrière pour aider à la manœuvre, et a participé à l’opération de ‘remise à flot’ du Jean Bart. Dans une tranchée creusée spécialement et rapidement pour permettre la sortie du cuirassé, balisée de petites bouées à peine visibles, le Jean Bart s’échoue par l’avant sur la gauche, tandis que l’arrière reposait sur la berge ouest. Après trois quarts d’heure d’efforts, les remorqueurs réussissent à le dégager, et le cuirassé atteint le chenal de la Loire aux premières heures de l’aube.
Evasion du Jean Bart- Pierre Guillou- Pilote de Loire. Geste éditions
Si les ordres sont bien parvenus aux autres remorqueurs, au moment où le Jean Bart va prendre de la vitesse pour échapper à la menace aérienne allemande, le Pornic est toujours en remorque à l’arrière. Les causes du non largage de l’amarre ne sont pas connues, soit les ordres n’ont pas été entendus, soit parvenus trop tardivement, soit un incident n’a pas permis de libérer l’aussière du crochet de remorquage. Le Jean Bart en prenant de plus en plus de vitesse, entraîne derrière lui le remorqueur qui se met en travers et commence à dangereusement prendre de la gîte. L’arceau de sécurité arrière est déjà dans l’eau et cette dernière commence à descendre dans la machine. C’est alors que l’un des marins du remorqueur a le réflexe de prendre la hache de sécurité située sur la plage arrière et de couper l’aussière. Le remorqueur fait une embardée brutale en sens inverse, puis se stabilise. Il n’y aura, apparemment, aucun blessé, mais sans doute une grande frayeur pour l’ensemble de l’équipage. Mon grand-père, par ailleurs chose assez rare à l’époque chez un marin, excellent nageur, s’est vu mourir noyé dans sa machine.
Bien des hypothèses peuvent être échafaudées, mais sans cette opération de rupture brutale de l’aussière, le remorqueur aurait vraisemblablement coulé et l’opération ‘évasion’ peut-être échouée ou du moins été fortement compromise.
Comme d’autres remorqueurs, le Pornic accompagne le Jean-Bart dans une petite partie de son périple, rejoint Bordeaux et ce n’est que le 30 août 1940, que le Pornic regagne Saint-Nazaire. L’incident ne fera l’objet d’aucun rapport et disparaitra avec les hommes qui l’avaient vécu.
Avers et revers de plaque d’inscrit maritime portée par Emile Jules Allain
Carte professionnelle de libre circulation
et livret professionnel maritime d’Emile Jules Allain
La tragédie du Saint-Philibert le 14 juin 1931, par Michel Mahé
A Nantes, l’Union Des Coopérateurs de Loire-Inférieure, l’UDC en liaison avec des syndicats CGT et la Bourse du Travail vient de créer le Comité des Loisirs nantais, qui propose à ses membres et à une population plutôt modeste différentes distractions telles que des visites culturelles, des jardins ouvriers, des centres de vacances des excursions et sorties. Pour la première fois, les responsables décident d’organiser une excursion dans l’île de Noirmoutier au mois de juin 1931. Ils prennent contact avec les Messageries de l’Ouest, filiale de la Compagnie nantaise de navigation, et réservent le Saint-Philibert pour le dimanche 14 juin. A cette date, les congés payés n’existant pas encore, une sortie ne pouvait se faire que les dimanches ou les jours fériés. L’idée est très bien accueillie par les coopérateurs et soutenue par la ligue des Droits de l’Homme, le parti socialiste SFIO et les syndicats ouvriers.
Le Saint-Philibert est un petit bateau de croisière et de promenade à vapeur, construit par les Chantiers Dubigeon de Nantes en 1923, pour la navigation côtière et dans l’estuaire de la Loire, dès la belle saison. Long de 32 m, il peut en principe accueillir 500 personnes (180 passagers de 1ère classe et 320 de 2ème classe). Mais en général, il n’embarque que 300 voyageurs. Le matin du dimanche 14 juin, les passagers se rendent pour 6 heures du matin à l’appontement des Messageries de l’Ouest, quai de la Fosse à Nantes. Ils croisent sur leur chemin les paroissiens qui sont occupés à construire les reposoirs et à décorer les rues pour le passage des processions. Ce dimanche 14 juin est en effet celui de la Fête-Dieu, une des plus sacrées pour les catholiques de l’époque. Les jours précédents avaient été caniculaires, mais ce matin il fait beau et une légère brise est la bienvenue. Le navire quitte le port de Nantes, profitant du jusant. Le temps s’annonce beau,
et la navigation dans la baie de Bourgneuf est considérée comme facile. Sept hommes d’équipage, (un mécanicien, deux chauffeurs, deux matelots et un mousse) commandés par le capitaine Ollive, âgé de 57 ans, qui est pourtant retraité mais reprend du service l’été, doivent veiller au bon déroulement de la traversée.
Le capitaine n’est pas enthousiasmé par le bateau qu’on lui a confié. Il connait ses faiblesses mais malgré tout il accepte, estimant le navire capable de faire l’excursion. Il donne des instructions très précises au contrôleur d’embarquement pour ne pas laisser embarquer plus de 500
personnes.
Il a été délivré 467 billets dont 426 payants, et 41 exonérés pour les enfants. Or on compte plus de 500 passagers sur le navire au moment du départ. Difficile de gérer un embarquement quand des gens qui devaient prendre place à bord ne se présentent pas ou quand, au contraire, d’autres personnes, voyant le beau temps, se décident à partir au dernier moment, quand enfin certains se désistent et, comme nous le verrons vendent au dernier moment leurs billets sur le quai même d’embarquement ? Le contrôleur essaie de gérer au mieux ces difficultés. La descente de la Loire se passe sans problème, certains passagers remarquent que le fleuve « moutonne », ce qui est anormal en cette belle journée. Le vent est nul au sol, mais de gros nuages passent en altitude à une vitesse impressionnante. Des habitants du village de Gron, non loin de Saint-Nazaire sur la rive droite du fleuve, dont ma mère et ma grand-mère, se souviennent des chants et des rires entendus lors du passage du navire. Le prospectus annonçant le voyage avait prévu : « Il y aura des réjouissances et des surprises, tant à l’aller qu’au retour ».
Quoi qu’il en soit, le voyage aller se passe normalement et le Saint-Philibert accoste à Noirmoutier vers 13 heures, avec une heure de retard, le long de l’estacade de la plage des dames. Les passagers s’occupent tout de suite d’organiser le pique-nique dans le bois de la Chaize, situé immédiatement à proximité, d’autres préférant le restaurant. L’après-midi certains vont se baigner ou se tremper les pieds à la plage voisine, tandis que d’autres se dirigent vers le bourg pour voir le château ou l’église. Puis chacun achète ses cartes postales et ses souvenirs, car il faut déjà songer au retour. A partir de 16 heures, la sirène de bateau retentit à plusieurs reprises pour rappeler les passagers. La mer, haute en principe à 15 heures 25 est remontée très vite, ce qui est toujours signe de mauvais temps. En effet, le vent a considérablement forci, et le capitaine Ollive, conscient des mauvaises conditions météo, hésite à reprendre la mer. Mais sous la pression en particulier d’un groupe d’ouvriers déterminés à reprendre le travail le lundi à 8 heures, il décide finalement de prendre la mer à 17 heures. 26 personnes, qui avaient eu le mal de mer à l’aller, préfèrent rentrer en car par le passage du Gois (quand celui-ci sera découvert, vers 22 heures). D’ailleurs, certaines familles se séparent, les hommes rentrant par le bateau, les femmes et les enfants par l’autocar. 17 autres restent dans leur famille ou à l’hôtel à Noirmoutier. Enfin 3 jeunes gens rentreront le lendemain matin par la voiture de la Poste. Ce qui fait que 46 personnes au total ne reprennent pas le bateau.
Les personnes prenant le car ont décidé de finir la journée en beauté et s’offrent le restaurant. C’est à l’issue de ce joyeux diner qu’on les avertit du drame. A leur arrivée à Nantes, vers 3 heures du matin, le naufrage leur sera confirmé par le bureau du port.
La mer est très agitée, mais personne parmi l’équipage n’envisage de distribuer les gilets de sauvetage. Après une heure de navigation, les choses se gâtent. Le capitaine regrette d’être parti car il sait que le pire est encore à venir. Mais après quelques hésitations, il poursuit finalement sa route en direction de Nantes. Les cabines, ne peuvent contenir les quelque 450 personnes qui ont embarqué et un grand nombre de voyageurs est contraint de rester sur le pont. Fouettés par les énormes paquets de mer, les passagers cherchent à se protéger et se placent spontanément sous le vent du bateau, à tribord, du côté de la terre, pour tenter de s’abriter. Ce faisant, ils déséquilibrent dangereusement le Saint-Philibert qui accuse une sévère gite. Et lorsqu’il double la pointe Saint-Gildas, près de Pornic, loin de se trouver protégé à l’entrée de l’estuaire de la Loire, le navire doit au contraire affronter la renverse de la marée et un très fort courant générant de puissantes vagues.
Le Saint-Philibert se dirige vers la bouée du Châtaignier, la mer est démontée avec des creux de plus de cinq mètres. Le tangage est énorme, le faible tirant d’eau de 2,20 m de ce navire, plutôt fait pour naviguer en Loire, accentue les difficultés. La bâche, qui avait été tendue pour protéger les gens du soleil, augmente encore la prise au vent. Le capitaine n’a pas de sonorisation pour pouvoir mettre en garde les passagers contre le risque de faire ainsi chavirer le bateau. Brusquement une lame plus forte que les autres couche le navire, puis une seconde le fait se retourner complètement, projetant instantanément, en quelques secondes, un grand nombre de ces vacanciers d’un jour à la mer. Cette scène dramatique a lieu à 18h30, sous les yeux impuissants des gardiens du sémaphore de la pointe Saint-Gildas.
Le maître-guetteur Adrien, s’efforce aussitôt de donner l’alerte. Les conditions étant très mauvaises, le premier bateau n’arrive sur zone qu’à 20 heures 20. Le remorqueur de Saint-Nazaire le Pornic sauve un passager autrichien accroché à une bouée et ramène trois cadavres. Le bateau pilote, le Saint-Georges, sous les ordres du capitaine Brière, sauve 7 jeunes gens qui savaient nager (1 hongrois, 1 norvégien et 5 français). Ces huit personnes représenteront en fait les uniques rescapés du naufrage du Saint-Philibert. Le bilan est terrible, 455 personnes ont péri en mer.
Bien que le naufrage n’ait pas encore été annoncé officiellement, une foule considérable se rend sur les quais de Saint-Nazaire en présence du député-maire François Blancho. La nouvelle parvient à la connaissance des familles et amis qui attendaient à l’embarcadère des Messageries de l’Ouest, quai de la Fosse à Nantes, ou encore au siège de l’Union Des Coopérateurs, qui avait distribué 212 billets, aux alentours de 23 heures. L’annonce, faisant état de rescapés sans en préciser le nombre (hélas très faible), suscite de vains espoirs.
Pierre, jeune receveur de tram nantais, fait partie de ceux qui, ayant appris la terrible nouvelle, essaient d’obtenir des informations. Il avait prévu avec son épouse Simone, enceinte de leur premier enfant, de profiter de l’excursion, et avait acheté deux billets. La veille du départ, il apprend qu’il sera de service le dimanche et ne pourra donc pas partir à bord du navire. Il conseille à son épouse de participer malgré tout à la sortie, et de vendre le second billet sur le quai d’embarquement. Arrivée sur place, elle hésite à partir seule, et (prémonition ?), prend la décision de ne pas participer à l’excursion. Elle décide de donner les deux billets à une cousine, accompagnée de sa fille, qui sont sur le quai à la recherche des précieux sésames. Elles acceptent avec joie, puis embarquent sur le navire. Quant à la jeune femme, elle rentre à la maison où elle passe la journée et la soirée, sans connaître le drame qui se joue. Pierre, mis au courant de celui-ci, essaie de s’informer, et sans nouvelles de sa femme, rentre à son domicile, mort d’angoisse, craignant le pire. Quelle n’est pas sa surprise de retrouver Simone qui l’attend, ignorant le drame qui vient de se nouer. Les deux époux tombent en pleurs dans les bras l’un de l’autre ! Leur première fille, Pierrette, naîtra en février 1932.
On retrouvera le corps de la maman et de sa fille, quelques semaines plus tard, enlacées l’une à l’autre. La destinée de chacun, bonne ou mauvaise, tient parfois à peu de choses…
La tempête s’apaise vers 21 heures. Les bateaux, désormais présents en nombre sur le site, commencent à ramener les premiers corps. Ces dépouilles sont déposées dans un premier temps sous le hall de la compagnie des Messageries de l’Ouest à Saint-Nazaire. Le mardi 16, sept camions militaires transportent vers Nantes les corps des 77 victimes alors retrouvées. Une chapelle ardente a été installée au Château des Ducs de Bretagne, où elles reposent dans des cercueils non fermés, afin que les familles puissent les reconnaître, ce qui donne lieu à des scènes déchirantes. La presse locale et nationale bien entendu fait ses gros titres du naufrage pendant plusieurs jours. Mais, ni la presse ni même la population ne semblent prendre la juste mesure de la catastrophe avec la disparition de presque un demi-millier d’habitants de la ville et de ses environs, en premier lieu parce que la mer n’avait rendu à ce moment-là que 77 cadavres sur 455.
Parmi les victimes, on trouve les fondateurs du Comité des Loisirs, des ouvriers des chantiers de Bretagne, une trentaine de travailleurs autrichiens de l’usine des Batignolles, qui habitaient les cités ouvrières. Il y a également des Rezéens dont le conseiller municipal Chincholle et sa famille. Le milieu syndical est très touché. Pont-Rousseau voit disparaitre Mesnil, instituteur, secrétaire du syndicat des instituteurs et de la fédération des fonctionnaires, Maillard, secrétaire adjoint de l’union locale, Thierry, trésorier du syndicat des employés de commerce.
Mais c’est le mouvement coopératif nantais qui est le plus atteint, avec la disparition du sous-directeur de l’UDC, Xavier Peneau, de Bredoux, fondateur en 1893 de la coopérative l’Economie, de Le Brazidec de l’UDC, d’Alexandre, chargé de l’organisation des fêtes coopératives et de la propagande cinématographique. Treize employés de l’UDC ont également disparu ainsi que le directeur Henri Lepouriel et toute sa famille. Celui-ci avait décliné une autre invitation pour faire partie du voyage. Ce drame ne fera d’ailleurs qu’amplifier une crise qui couvait au sein de la grande société nantaise, victime de son développement trop rapide.
Le Jeudi 18 juin 1931 des funérailles grandioses sont organisées dans la ville de Nantes. La cérémonie civile a lieu dans la cour du château des Ducs en présence d’Aristide Briand ministre des affaires étrangères, du ministre de la marine Louis de Chappedelaine, du député-maire de Saint-Nazaire François Blancho, du maire de Nantes Léopold Cassegrain, des préfets, des élus locaux, des officiers supérieurs et personnalités locales.
Après les différentes allocutions des principales personnalités présentes, la cérémonie se prolonge par un sermon donné par le pasteur du culte protestant de Nantes.
Puis les 77 cercueils sont chargés par groupe de 6 dans 13 véhicules hippomobiles militaires hâtivement transformés en corbillards, qui quittent le château pour se diriger vers la cathédrale. C’est sur le parvis de celle-ci qu’a lieu la cérémonie religieuse, au milieu d’une foule immense. Elle est présidée par Monseigneur Le Fer de la Motte, évêque de Nantes, entouré des chanoines du chapitre épiscopal ainsi que de nombreux prêtres des paroisses avoisinantes. Après la bénédiction des corps par l’évêque, le cortège des 13 véhicules militaires rejoint la rue de Strasbourg. A l’extrémité nord de cette rue, le cortège se scinde en direction des différentes paroisses et quartiers où les cercueils seront remis aux familles pour l’inhumation.
200 corps seront retrouvés dans la première semaine qui suit la cérémonie. Le corps du capitaine Ollive est découvert, échoué sur la plage de Pornichet avec 6 autres corps et tout un ensemble de paniers, sacs, landaus et objets divers. La mer continue ensuite à rejeter des corps sur toutes les côtes environnantes, jusqu’à l’île d’Yeu, La Rochelle, l’île de Ré et Rochefort-sur-Mer. En fin de compte, 409 cadavres sont repêchés, 100 d’entre eux ne seront jamais identifiés formellement, et une cinquantaine de corps ne seront jamais retrouvés. Preuve de la crainte des conséquences sanitaires par la population, la consommation de crustacés et de poissons s’effondre dans la région pendant au moins une année.
Cette terrible catastrophe engendre chez les habitants du département, et même au delà, une véritable sidération. Des secours affluent afin de venir en aide aux familles des victimes. Ils viennent du monde coopératif, des villes de Nantes et de Saint-Nazaire, du président du conseil, Pierre Laval, et même de l’étranger. Les journaux locaux comme le Phare de la Loire, l’Ouest Eclair, le Populaire, le Travailleur de l’Ouest, ouvrent des souscriptions.
Les fonds recueillis à Saint-Nazaire sont centralisés par les syndicats et les coopératives avant d’être transmis à la mairie de Nantes. Une commission composée d’élus, de coopérateurs, de représentants des syndicats confédérés, du syndicat patronal des constructions mécaniques et navales, de la Chambre de Commerce et de l’état, se charge de la répartition des secours, épaulée à partir du mois d’août par le groupement de défense des familles des victimes du Saint-Philibert. Ce comité s’est constitué à la Bourse du Travail sous la direction du secrétaire de l’union départementale CGT. En effet, la grande majorité des victimes fait partie de la classe ouvrière.
Pendant que les recherches des victimes continuent, au milieu de la semaine qui suit le naufrage, plusieurs navires de la marine nationale, dragueurs et canonnières, se rendent sur le lieu du sinistre afin de repérer l’épave du navire. Assez vite, le dragueur Renne découvre celle-ci. Deux scaphandriers confirment que c’est bien le Saint-Philibert qui gît par 9 m de fond, couché sur le côté gauche, après avoir fait un tour complet sur lui-même en sombrant. Ils tentent d’ailleurs en vain d‘ouvrir les portes des cabines intérieures. L’épave est située à 250 m dans le Nord-Ouest de la bouée des Châteliers, dans l’alignement du chenal.
Il faut impérativement renflouer le navire, car sa présence à cet endroit de fort passage peut présenter des dangers pour la navigation. Les entreprises françaises contactées ayant estimé que cela dépassait leurs compétences, on aura recours aux services d’une entreprise allemande implantée à Hambourg. Dans le contexte de la période d’entre-deux guerres, cette décision soulève des vagues d’indignation patriotique. Le Saint-Philibert est finalement renfloué le 5 août 1931 sous la direction de l’ingénieur Fuhrman, par deux pontons. C’est à cette occasion que seront retrouvés la plupart des derniers corps. En effet, 33 personnes qui étaient dans les cabines intérieures du vapeur étaient restées prisonnières de l’épave.
Alimenté par une polémique virulente, un procès a lieu en 1933. Parodie de justice, les familles des victimes sont déboutées et les armateurs affranchis de toute responsabilité dans ce naufrage. Il faut noter également le poids d’une religiosité où certains, de manière scandaleuse, ne manqueront pas de souligner, parlant alors de châtiment divin, que si les ouvriers nantais et leurs familles avaient participé en bons catholiques aux processions de la Fête-Dieu, ce 14 juin, ils n’auraient pas péri !!! Le bateau semble récupérable, il sera donc réparé et converti pour effectuer des transports de charges. Il changera plusieurs fois de nom. En dernier lieu, sous le nom de Côte d’Amour il sert aux transports de sable. Il ne sera envoyé à la ferraille qu’en 1979.
Cette catastrophe était-elle prévisible ? Le gardien du phare du Grand Charpentier déclara, lors de sa relève, qu’il était étonné de voir passer le dimanche matin le Saint Philibert. De plus, au moment du retour, les passagers et l’équipage, à l’abri des vents de suroît et d’ouest ne voyaient qu’un plan d’eau calme, et ne pouvaient deviner les conditions dantesques qui régnaient dans l’estuaire de la Loire. Un avis de coup de vent émis par la météo n’arriva à Noirmoutier que le lundi matin… Neuf ans après, presque jour pour jour, un autre navire, le Lancastria, qui participait à l’évacuation du contingent britannique au départ du port de Saint-Nazaire, touché de plein fouet par des bombes allemandes, sombrera le 17 juin 1940 en vingt-quatre minutes, non loin du lieu du naufrage du Saint-Philibert. Cette terrible fera près de 4 000 victimes…
Bibliographie et sources :
La Prolétarienne, l’Union, La Ménagère, les coopératives de consommation dans la Basse Loire, Robert Gautier, 2012, CHT
Les grands naufrages de l’estuaire de la Loire, Emile Boutin, 2002, Siloë
Archives Départementales de Loire-Atlantique
Article Ouest-France 14 juin 2015 Blog
En Envor, le drame du Saint-Philibert, Erwan Le Gall Blog famille Bretet, le naufrage du Saint-Philibert 14 juin 1931
Blog La chouette de Vendée, le naufrage du Saint-Philibert, Maurice Bedon
L’histoire de la « 101 », une des locomotives du train du Morbihan
Les vieux Briérons et les vieux Montoirins se souviennent sans doute encore de la « 101 ».
En 1892, le Conseil Général du Morbihan confie à la Compagnie des Chemins de Fer du Morbihan, la réalisation et la construction de 402 kilomètres de voies ferrées à écartement métrique dans le département et 120 dans le département de la Loire-Inférieure, aujourd’hui Loire-Atlantique. A partir de 1907, les lignes La Roche-Bernard- Saint Nazaire entrent en activité avec deux embranchements : un à Méan en direction de Penhoët et un à Trignac, pour desservir le bourg de Montoir de Bretagne. A Herbignac, un embranchement permettait d’aller à Guérande en passant par Piriac sur mer de 1907 à 1930. Une locomotive à vapeur a parcouru ces lignes : la 030 Pinguely N° 101. Elle a été construite à Lyon en 1905 dans les ateliers de Benoist Alexandre Pinguely qui, entre 1881 et 1932, a fabriqué 361 locomotives à vapeur.
Une locomotive chargée d’histoire
Traversant toute la Brière, la fière locomotive à vapeur a permis à ses nombreux habitants de rejoindre quotidiennement leur travail aux Chantiers de Construction Navale de Saint Nazaire. Entre Trignac et Saint Joachim, le train du Morbihan desservait Loncé, village de Montoir de Bretagne dont l’arrêt a été rasé, il y a une dizaine d’années,
Le Pin, La Rue et Rozé. Le réseau a été fermé définitivement en 1947. L’ancienne voie entre Saint Malo de Guersac et Saint Nazaire a été aménagée en piste cyclable. La locomotive « 101 » part alors aux Forges de Gueugnon. En 1975, elle arrive sur le réseau du CFBS ( Chemin de Fer de la Baie de Somme), qu’elle parcourt jusqu’en 1996. Après une restauration qui a duré quatre années, dans les ateliers de Saint Valéry-Canal, elle revient sur le réseau.
L’association CFBS, composée de plus de 30 bénévoles, fait voyager sur ces lignes 6 locomotives à vapeur, 7 loco-tracteurs diésel, un autorail et une draisine. Aujourd’hui, elle transporte 200 000 voyageurs par an du Crotoy à Noyelles ( 7,5 km), de Noyelles à Saint Valérie-Port ( 6,5 km) et de Saint Valéry-Ville à Cayeux( 12 km).« Dites bien aux Briérons que nous prenons soin de la « 101 » qui les a transportés au cours du XXe siècle. C’est une belle machine, parfois capricieuse, mais qui voyage toujours sur nos voies ferrées de la Baie de Somme » me précisent les deux bénévoles de la CFBS, de service, un matin de juillet, en gare de Saint Valéry sur Somme.
Une petite chanson
En 2005, j’avais écrit une chanson sur le petit train du Morbihan. Un vieux briéron m’avait dit que pour se souvenir des gares des lieux dits entre Saint Nazaire et Saint Joachim, il avait cette petite phrase mnéo-technique : « Saint Nazaire à lancé (Loncé) le pain (Le Pin) à la rue (La Rue) de Rozé (Rozé), Saint Joachim », ce qui m’a donné les paroles du refrain de ma chanson…..
LE PETIT TRAIN DU MORBIHAN
Semant ses nuages blancs
Juste au dessus des roseaux
Le p’tit train du Morbihan
Passant, fait peur aux oiseaux
Il tortille de gare en gare
En se regardant dans l’eau
Du canal ou les canards
S’amusent de ses cahots
Son sifflet dans le lointain
Sonne l’angélus bien trop tôt
Laisse aux cloches de Saint Joachim
Seulement celui de midi, c’est beau
REFRAIN
Le p’tit train du Morbihan
De Saint Nazaire à Loncé
Le Pin à La Rue de Rozé
Saint Joachim.
Le p’tit train du Morbihan
Ramasse sur son passage
Ceux de Pendille, de Fédrun
Une musette pour factage
Le train les tire de Brière
Pour aller gagner leur pain
A la ville, river le fer
Chaudronniers, mécaniciens
Pauvres hommes de la terre
Il vous déporte le train, afin
D’améliorer l’ordinaire
Dans la poussière et le bruit urbain
Mais le soir le petit train
Fait le chemin à l’envers
Laissant à chaque chemin
Les hommes gagner leurs chaumières
Leurs filets et leurs chalands
Pour visiter leurs bosselles
Quand dans le soleil couchant
S’envolent quelques judelles
Le p’tit train du Morbihan
Suspend ses petits nuages au ciel
Sur la ligne d’horizon
Chante sa dernière ritournelle
CD : Voix de Tourbe et de Sel Ref VDTS0107
Crédit photos : Collection GATM, Nicolas Nivel-Catin, Guy Nicoleau
Bibliographie : Les Chemins de Fer de la Baie de Somme de Nicolas Nivel-Catin. Un chemin de fer d’intérêt local en Loire Inférieure de Jean Pierre Nennig
Le 10 mai 1940, l’armée allemande envahit la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas. Malgré la résistance des troupes alliées, l’avance allemande est inexorable. Le concept du « Blitzkrieg », la « guerre-éclair », avec un rôle nouveau dévolu aux blindés, et superbement ignoré par l’Etat-Major français, porte ses fruits. On attend sur la ligne Maginot un ennemi qui opère une percée entre Sedan et Dinant, dans les Ardennes belges.
Après le rembarquement allié à Dunkerque, l’offensive reprend de plus belle vers le sud. Les allemands entrent dans Paris, déclarée ville ouverte, le 14 juin. Le gouvernement qui avait quitté la capitale pour Tours le 10 juin, prend la direction du sud et rejoint Bordeaux.
C’est l’exode. Un flot de réfugiés envahit les routes, Hollandais, Belges, Français du Nord. Ce n’est plus du tout une évacuation organisée comme en septembre 1939. Ils sont 8 à 9 millions sur les routes de France. Beaucoup se dirigent vers Saint-Nazaire, où il faut leur trouver un hébergement d’urgence.
D’autres encore espèrent rembarquer avec les troupes anglaises, polonaises, tchécoslovaques qui, à partie du 15 juin, refluent vers le port. A Saint-Nazaire doivent s’embarquer 15 000 britanniques du corps expéditionnaire, les personnels des dépôts et hôpitaux de la région ainsi que des soldats venant du Nord et de l’Est.
Le lundi 17 juin, les Allemands sont à Rennes. Ils s’approchent de Brest, de Nantes et de Saint-Nazaire. A 12h30, le maréchal Pétain prononce son discours aux Français : « C’est le cœur serré que je vous dis dès aujourd’hui qu’il faut cesser le combat ». L’armistice sera signé avec l’Allemagne cinq jours plus tard.
Une course contre la montre va s’engager avec comme enjeu la prise du cuirassé « Jean Bart », 248 m, 35 000 tonnes, dont la construction, commencée le 12 décembre 1936, est loin d’être achevée. Il était prévu qu’il quitte Saint-Nazaire à la fin de 1940.
Pour le commandant Ronar’ch, chargé de suivre les travaux d’achèvement du navire, il faut absolument faire sortir le navire au plus tôt et l’éloigner de la zone des combats. Mais le problème est complexe car le navire, a été construit dans un ouvrage spécial, une forme de construction où on a procédé à sa mise en eau les 5 et 6 mars 1940, en lui faisant effectuer une translation vers le bassin où il sera achevé. Un bateau-porte lui permet d’accéder à l’estuaire, mais pour cela il faut creuser un chenal dans plusieurs centaines de mètres de hauts-fonds, ce qui prendra du temps .
Pendant un mois, 3500 ouvriers travaillent d’arrache- pied afin de permettre le départ du navire en installant un équipement minimum.
Le départ est initialement fixé au 20 juin, à l’heure de la marée haute (fort coefficient d’équinoxe), mais les nouvelles sont de plus en plus alarmantes, l’ennemi se rapproche de Saint-Nazaire. Le mardi 18 juin au matin, le Contre-Amiral Rioult, commandant la marine à Saint-Nazaire, demande à Ronarc’h de se tenir prêt à appareiller en direction de Casablanca. Mais compte tenu de la situation, le départ ne pourra se faire que le 19 à la marée de 3 heures du matin. Quant au dragage, on se contentera d’une tranchée de 45 mètres de large, ce qui est peu pour un navire de 33 mètres de large.
En début d’après-midi, Ronarc’h prend contact avec les patrons des remorqueurs havrais Minotaure, Titan et Ursus, ainsi que ceux d’autres petits remorqueurs nazairiens qui vont accompagner le Jean Bart dans sa sortie.
Au même moment, dans l’estuaire, se joue le drame du Lancastria
Toute la journée règne une grande effervescence, Les travaux se poursuivent sans relâche, et bien qu’on veuille demeurer le plus discret possible, tout le monde sent bien que le départ est proche. On embarque des vivres, les marins sont consignés à bord. 150 civils, cadres et ouvriers des chantiers, se préparent à embarquer, dont Monsieur André Tilly, contremaitre électricien.
« Mon mari est rentré déjeuner, puis il m’a dit : « Prépare- moi des bleus neufs, je pars avec le Jean Bart ». Il m’a remis son alliance, sa montre et ses papiers en disant « Je ne sais pas si je reviendrai, fais attention aux enfants. ». ((1)
Le bruit court que les troupes allemandes sont entrées à Nantes.
Vers 14h30, les veilleurs du navire, d’où la vue embrasse plus de 20 km, signalent une colonne motorisée entre Montoir et Saint-Nazaire. Les fusiliers marins chargés de la défense du Jean Bart se déploient autour du navire, qui hisse ses couleurs pour la première fois à 15h30…Paradoxe : pendant que des ouvriers continuent de travailler sur le navire, d’autres se tiennent prêts à le saborder au cas où… Fausse alerte ! La colonne est anglaise.
On ouvre le sas du bassin vers 18h30, la porte ayant été ouverte une heure plus tôt. Les derniers préparatifs ont lieu à bord du navire, le chenal de sortie est balisé. Le navire se prépare à être autonome, non sans mal car de nombreux problèmes, électriques en particulier, surviennent à bord.
Le 19 juin à 1h35 du matin, le Contre-Amiral Rioult ordonne de faire sauter le pont de Méan, qui permet l’entrée directe à Saint-Nazaire, des motocyclistes allemands ayant été signalés vers Saint-Nicolas de Redon.
A 2h30, la tranchée est évacuée par la drague et ses annexes, et Ronarc’h monte sur la passerelle pour diriger l’appareillage. A ses côtés se trouve Charles Lorec, le meilleur pilote du port.
Ronarc’h lui dit : « Je ne veux aucun feu, aucune bouée lumineuse, rien ! »
Lorec se révolte : « C’est impossible, commandant, nous allons nous échouer ! »
Mais Ronarc’h reste implacable : « Je ne veux pas encourir le risque d’un bombardement sur Saint-Nazaire. Nous sortirons sans un seul feu et… nous sortirons ! »
A 3h20, les remorqueurs havrais s’attellent au navire, L’Ursus et le Titan à la proue, le Minotaure à la poupe. La flottille des remorqueurs nazairiens, comprenant les Hoedic, Glazic, Pornic, Piriac Marie-Léontine, se tient prête à intervenir. Les machines du Jean Bart tournent et la manœuvre de sortie commence, dans des conditions très difficiles. Le pilote Lorec n’ose croire à la réussite de l’entreprise. Il ne dispose, de chaque côté du navire, que d’une marge de 5 m, et bien que la marée soit haute, il n’y a par endroits que 20 cm d’eau sous la quille. Le pilote, dans la nuit, distingue à peine les bouées blanches qui ne sont pas éclairées. Et le Jean Bart s’échoue par l’avant sur la gauche, tandis que l’arrière repose sur la berge ouest du chenal.
Les remorqueurs nazairiens interviennent, et au bout de trois quarts d’heure, réussissent à dégager le navire. Il atteint le chenal de la Loire aux premières lueurs de l’aube et à 4h30, il descend l’estuaire à la vitesse de 4 nœuds.
Emile Jules Allain, officier mécanicien, est à bord du Pornic, placé à l’arrière du cuirassé pour aider à la manœuvre de remise à flot. Au moment où le Jean Bart, une fois délivré, va prendre de la vitesse, sur ordre, les remorqueurs larguent les amarres. Mais le Pornic est toujours en remorque, soit les ordres n’ont pas été transmis, soit un incident n’a pas permis de libérer l’aussière du crochet de remorquage. Le Jean Bart prenant de plus en plus de vitesse entraine derrière lui le remorqueur qui commence à dangereusement prendre de la gîte. L’arceau de sécurité arrière est déjà dans l’eau qui commence à descendre dans la machine. C’est alors qu’un des marins du remorqueur a le réflexe de prendre la hache de sécurité située sur la plage arrière et de couper l’aussière. Le remorqueur fait une embardée brutale en sens inverse puis se stabilise. Il n’y aura, apparemment, aucun blessé, mais sans doute une grande frayeur pour l’ensemble de l’équipage. Emile J. Allain, excellent nageur, chose rare à l’époque, s’est vu mourir noyé dans sa machine. (2) .
Sans la présence d’esprit de ce marin, le remorqueur aurait vraisemblablement coulé, et l’opération « évasion » aurait été fortement compromise, voire ratée.
A 4h40, surgissent trois bombardiers allemands Heinkel 111 qui larguent à plusieurs reprises des bombes, qui explosent au contact de l’eau. L’une d’entre elles tombe sur le pont du navire, n’occasionnant que de faibles dégâts matériels.
A 4h50, le Jean Bart largue ses remorqueurs et poursuit sa route dans le chenal. Le navire double à courte distance, par le sud, l’épave du Lancastria dont une partie de la poupe se dresse encore vers le ciel. Tout l’équipage a une pieuse pensée pour les malheureux qui ont été engloutis avec lui. On ignore encore à ce moment l’ampleur des pertes humaines. Avant de quitter le navire, le pilote Lorec et Ronarc’h se serrent longuement la main. Ce dernier remercie chaleureusement le pilote de l’avoir si bien guidé dans un chenal qu’il connaissait si peu. Avant de monter à bord d’un remorqueur, Lorec demande : « Vous allez faire le point, maintenant ?
-Le point ? Mais nous n’avons pas de compas, mon vieux ! » répond Ronarc’h.
Escorté par les torpilleurs Mameluk et Hardi et par une partie des remorqueurs, sans qu’on sache précisément lesquels l’ont assisté (3), le Jean Bart est ravitaillé dans la matinée par le pétrolier Tarn. Il rejoindra Casablanca avec 1200 hommes à bord, non sans quelques pannes, le 22 juin vers 17h. IL a réussi à échapper aux Allemands. Les ouvriers embarqués à bord seront rapatriés quelques mois plus tard.
Mais le Jean Bart ne regagnera la France qu’après la Libération en 1945
Ce même 19 juin, Saint-Nazaire est déclarée « ville ouverte ». Les Nazairiens peuvent lire l’annonce signée par François Blancho, et placardée sur les murs de la ville.
L’avant-garde des troupes allemandes entre dans la ville le 21 juin. Albert Le Perron, militant ouvrier, évoque ses souvenirs « On s’attendait à l’entrée imminente des troupes allemandes, quand, tout à coup, venant de la vieille gare on vit des motos et des jeeps allemandes se mettre à tourner autour de la place Marceau et partir dans les rues de Saint-Nazaire. La plupart des gens rentraient dans leurs maisons. »
Le gros des troupes quant à lui pénètre dans la ville le 22 à 11h15, venant du Nord et du Nord- Ouest, probablement en passant par Trignac, faute d’avoir pu emprunter le pont de Méan détruit
C’est le début pour Saint-Nazaire de cinq longues années d’occupation ponctuées d’autres évènements et drames qui verront leur terme le 11 mai 1945, jour de la libération de la Poche de Saint-Nazaire, qui sera la dernière ville libérée de France.
(1) Témoignage recueilli en 1986
(2) Récit Yves Marie Allain d’après le récit de son grand-père, Emile Jules Allain
(3) Le Pornic rejoindra Bordeaux, d’après Emile Jules Allain
Bibliographie et sources :
Archives départementales de Loire-Atlantique (presse locale)
Archives municipales de Saint-Nazaire
SNAT-Ecomusée Saint-Nazaire
Saint-Nazaire et le mouvement ouvrier, AREMORS, tome 3
L’évasion du Jean Bart, vice-amiral Ronarc’h
Les grands naufrages de l’estuaire de la Loire, Emile Boutin
Saint-Nazaire 1939/1945, Daniel Sicard
Saint-Nazaire 1939/1940, Luc Brauer
Documents personnels
Saint-Nazaire vit l’été 1939 sans trop se préoccuper de la montée des risques de conflit. On profite de l’été, des joies de la plage et de la baignade.
Ville de l’arrière, elle a vécu la Grande Guerre au travers des débarquements dans son port de troupes, de chevaux et de matériel :
120 000 anglais en 1915, des canadiens, puis plus de 200 000 Sammies entre juin 1917 et octobre 1918.
Elle a vu en 1914 les réfugiés du nord et de l’est affluer, puis de nombreux blessés être rapatriés dans ses hôpitaux.
Un quart de siècle plus tard, la ville s’apprête à revivre une situation identique.
Le premier septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne. Aussitôt est lancé l’ordre de mobilisation générale par voie d’affiches, le 2 septembre, relayé par la radio et les journaux nationaux et locaux qui emboitent le pas. Tous les hommes de 20 à 40 ans sont mobilisés. Partout en France, des affiches de mobilisation générale sont affichées dans tous les lieux publics.
En vertu du pacte d’assistance signé avec la Pologne, l’Angleterre déclare la guerre à l’Allemagne le 3 septembre à 11 heures suivie par la France à 17 heures. Les mobilisés partent ce même jour afin de rejoindre leur centre de recrutement
Rien ne sera fait pour aider réellement la Pologne qui après une vaillante résistance, capitule le 27 septembre après la bataille de Varsovie.
De septembre à octobre 1939, environ 40 000 personnes originaires du département du nord et de la région parisienne arrivent en Bretagne, particulièrement à Saint-Nazaire et dans les stations balnéaires proches, comme La Baule, Saint-Brévin et Pornic. C’est la première prise de conscience pour les Nazairiens que la guerre est bien commencée.
Dès les premiers jours de septembre 1939, les anglais débarquent par contingents entiers à Saint -Nazaire, avant de monter au front.
Les convois rapides, transportant les troupes, sont constitués d’une quinzaine de bâtiments, leur protection étant assurée par la marine britannique. En tout, 14 convois vont se succéder, le premier arrivant dès le 12 septembre, le dernier le 9 novembre. D’autre part, des convois plus lents transporteront du matériel de la mi-septembre 1939 à la mi-juin 1940.On en comptera 41 en tout.
Le port connait une activité intense. Les Tommies défilent dans les rues en sifflant : « Nous irons sécher notre linge sur la ligne Siegfried », avant de gagner leur camp de transit, avant leur envoi vers le front de l’est.
Des convois de véhicules en tous genres, chenillettes, canons, tanks traversent à grand bruit la ville après avoir été débarqués.
Les Royal Engineers, chargés de réceptionner troupes et matériel, mettent en place des camps de transit constitués de dizaines de baraquements, comme ici à Montoir-de-Bretagne, à la Touchelais près de Savenay, à La Berthelais (la Chapelle Launay). Le dépôt de véhicules est installé à Gron près de l’aérodrome.
Les munitions stockées à la forêt du Gâvre. Le dépôt d’essence est au château de Blain.
A Saint-Nazaire, les anglais établissent un camp à l’école de Plaisance (future école Jules Ferry) pour stocker vivres et habillement.
Les hôtels de La Baule servent pour l’état-major, le casino devient hôpital. Un dépôt de nourriture est installé derrière les terrains de tennis du Country Club.
Enfin un cimetière militaire est édifié au lieu-dit « La ville Halgand »
Une fois les débarquements terminés et la plupart de nos alliés britanniques montés vers la ligne de front, Saint-Nazaire retrouve un certain calme qui persiste durant toute la première partie de la guerre.
Pendant ce temps, l’armée française « pourrit dans l’inaction » selon l’expression du général Beauffre. L’expression « la drôle de guerre » relevée dans le journal local » La Presqu’ile » du 5 novembre 1939, est due à Roland Dorgelès. L’expression fait référence aux tout premiers mois de la guerre de 1939-1945 et désigne la période qui s’étend du 3 septembre 1939 au 10 mai 1940 (début de l’invasion allemande).
L’origine de l’expression résulte d’une méprise sur la signification du terme anglais « phoney war », « fausse guerre » (en effet, cette période se caractérise par une inaction des armées alliées sur le terrain, en attente d’ordres précis), que le correspondant de guerre français Roland Dorgelès aurait malencontreusement traduit par « funny war », « drôle de guerre » en français.
L’armée française participe à la bataille de Norvège du 9 avril au 10 juin. Malgré la prise de Narvik, les alliés décident l’évacuation en raison de la supériorité allemande.
Et c’est le coup de tonnerre du 10 mai 1940, l’armée allemande envahit la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas. Malgré la résistance des troupes alliées, l’avance allemande est inexorable. Le concept du « Blitzkrieg », la « guerre-éclair », avec un rôle nouveau dévolu aux blindés, et superbement ignoré par l’Etat-Major français, porte ses fruits. On attend sur la ligne Maginot un ennemi qui opère une percée entre Sedan et Dinant, dans les Ardennes belges.
Après le rembarquement allié à Dunkerque, l’offensive reprend de plus belle vers le sud. Les allemands entrent dans Paris, déclarée ville ouverte, le 14 juin. Le gouvernement qui avait quitté la capitale pour Tours le 10 juin, prend la direction du sud et rejoint Bordeaux.
C’est l’exode. Un flot de réfugiés envahit les routes, Hollandais, Belges, Français du Nord. Ce n’est plus du tout une évacuation organisée comme en septembre 1939. Ils sont 8 à 9 millions sur les routes de France.
A Saint-Nazaire et aux alentours, on essaie tant bien que mal de gérer cette situation, en recensant les réfugiés, en tentant de trouver des hébergements. On les loge tant bien que mal dans les écoles dont les classes s’emplissent de couvertures et de lits de fortune.
Le 12 juin, à 21h45, c’est le premier contact direct avec la guerre. Un avion allemand survole la ville et largue 2 bombes sur Penhoët sans faire de victimes mais causant de gros dégâts aux voies ferrées et au bâtiment de l’Energie Electrique de la Basse Loire. Les nazairiens savent encore si peu ce qui les attend qu’ils regardent le spectacle de leurs fenêtres.
Dès le 15 juin, les troupes anglaises, polonaises, tchécoslovaques refluent vers le port. A Saint-Nazaire doivent s’embarquer 15 000 britanniques du corps expéditionnaire, les personnels des dépôts et hôpitaux de la région ainsi que des soldats venant du Nord et de l’Est. Les rues de la ville sont encombrées par un afflux de camions, autos, motos et surtout d’hommes à pied. Dans un premier temps les habitants pensent que les Anglais sont là pour les défendre mais ils comprennent vite que les soldats quittent la France, abandonnant tout leur matériel qui sera saboté, ne gardant que leur arme personnelle.
Dans la nuit du 15 au 16, un bruit continu parvient de la direction de Montoir. Les Anglais brûlent le matériel qu’ils ne peuvent emporter. Les voitures et camions britanniques, parquées à Gron, brûlent avec de hautes flammes qui font exploser les réservoirs d’essence et les stocks de munitions. Deux jeunes trignacais, qui avaient récupéré une moto anglaise intacte et l’avaient cachée dans un fossé pour la reprendre plus tard auront la désagréable surprise de ne pas la retrouver le lendemain… D’autres se seront servis !
Plusieurs grands paquebots sont annoncés pour le rapatriement des troupes. Mais, cette même nuit, des hydravions allemands larguent des mines dans le chenal des Charpentiers, seul point de passage pour les navires à grand tirant d’eau voulant atteindre Saint-Nazaire.
Le 16 à 1 h du matin, le paquebot Champlain quitte le port en direction de la Rochelle. Il est chargé de cuivre, de machines outils, de camions et d’avions en caisses. Il coulera après avoir heurté une mine magnétique en rade de la Pallice, Le 17 juin au matin.
Le même jour au matin, la drague La Coubre saute également sur une mine magnétique, trois morts sont à déplorer. Les embarquements britanniques commencent à bord de destroyers et de grands remorqueurs qui assurent le transbordement des soldats entre le quai de marée et les transports mouillés aux Charpentiers. Des soldats, sur la plage ou sur le boulevard de mer, assis sur la murette ou sur des bancs, attendent les nuées de canots qui viennent les chercher pour les conduire vers les navires. On compte sur rade environ 90 bâtiments britanniques et français, à la merci des bombardiers allemands. Il n’y a pas de possibilité d’accostage en eau profonde près du port. D’autre part, entrer et sortir par l’écluse serait une grande perte de temps et présenterait trop de risques.
Les premières attaques allemandes ont lieu le 16 juin en fin d’après-midi sans faire de dégâts.Le lundi 17 juin, l’embarquement des troupes britanniques se poursuit. Au lieu de 15 000 hommes ce sont plus de 40 000 soldats qui sont en train d’évacuer le port de Saint-Nazaire qui devient un nouveau « petit Dunkerque », (toutes proportions gardées car à Dunkerque on a évacué 338 000 hommes). Des destroyers ainsi que des remorqueurs font la navette entre le port et les navires sur rade, pour la plupart anglais.
Une première attaque aérienne allemande se produit à 13h48, le paquebot Oronsay , lui aussi empli de soldats déposés par le destroyer Highlander, est le premier touché, une bombe explosant sur le pont.
A 14h45, les sirènes du port se déclenchent pour la 2ème fois. Trois bombardiers Junker 88 se dirigent sur le paquebot Lancastria, mouillé en rade. L’embarquement a commencé vers 11 h et il est plein à craquer de soldats, ainsi que de nombreux civils. Certains chiffres font état de 9000 passagers qui s’entassent dans cet ancien navire de croisière prévu pour en accueillir 2500.
Le Lancastria a été lancé en 1922 près de Glasgow. Il porte alors le nom de Tyrrhénia et appartient à la Cunard line. Il assure la ligne Londres New York. Mais on le nomme Lancastria en 1924, le nom initial étant trop difficile à prononcer pour les passagers.
Au moment de l’embarquement le 17 juin, son commandant, le capitaine Rudolph Sharp, attend les autres bâtiments pour partir en convoi et éviter le risque de torpillage par un U-Boat .
Le premier bombardier manque son objectif. Toutes les armes du bord font feu en direction des assaillants. Le deuxième bombardier lâche 4 bombes juste au dessus du paquebot. Elles atteignent toutes leur objectif, l’une dans la cale n° 2 où sont entassés 800 soldats, une autre dans une cale à mazout contenant 500 tonnes de carburant qui se répandent tout au long du navire formant une épaisseur d’une vingtaine de centimètres, une encore le long du bord, éventrant une des cales. Mais c’est la dernière bombe qui cause le plus de ravages, semblant tomber tout droit dans l’unique cheminée du paquebot (en fait ce n’est pas le cas) mais faisant exploser la chaufferie.
Deux minutes après le passage des bombardiers, le Lancastria s’incline brusquement sur bâbord. C’est la panique. Stanley Bird se trouve à ce moment sur le pont du navire, et saute immédiatement à l’eau. Il perdra son ami qui était descendu boire une bière dans un des ponts inférieurs, d’où les survivants tentent de remonter, aveuglés par la fumée et gênés par l’eau qui s’engouffre de partout. Beaucoup se jettent à l’eau et essaient de se raccrocher à ce qui flotte : canots, radeaux, planches et morceaux de bois, Frédéric Georges est de ceux-là. Avec trois autres soldats, il s’accrochera pendant des heures à un morceau de débris. Il y a tant de personnes à la mer à la recherche d’un objet flottant qui peut leur sauver la vie, que les quatre hommes devront combattre d’autres survivants, ce qui hantera Frédéric pour le reste de ses jours.
Le Lancastria sombre en 24 minutes. Les équipages des navires alentour, des chalutiers, le navire pilote La Lambarde, des destroyers britanniques tentent de porter secours aux naufragés.
Malgré cela, des milliers de passagers du navire vont périr noyés. Sur une mer d’huile, couverte de mazout à perte de vue on aperçoit des cadavres, des rescapés aussi, couverts de brûlures et de fuel, qui seront débarqués à Saint-Nazaire et acheminés vers l’hôpital ou des écoles afin d’être soignés et nettoyés de leur gangue noire. De nombreux nazairiens s’associent au travail des sauveteurs débordés jusque tard dans la nuit.
Les habitants des villes côtières, de l’embouchure de la Vilaine jusqu’à la Gironde, recueilleront pendant des semaines sur les plages, les cadavres des malheureuses victimes. Après avoir fait leur toilette funéraire, on leur accordera une sépulture décente. Les familles leur en seront éternellement reconnaissante pour leur humanité et leur bonté.
Comme on vient de la voir, la vie de certains des rescapés ne tiendra souvent qu’à un morceau de bois. C’est le cas de Véra Tillyer, réfugiée belge, qui vient d’embarquer sur le navire, avec son mari Clifford qui maintient à flot leur fille Jacqueline, âgée de 2 ans, en serrant les vêtements de la petite fille entre ses dents. Pendant trois heures, ils tiennent, avant d’être secourus par le destroyer « Highlander ». Les marins du bord enroulent Jacqueline dans un de leurs pulls. Elle l’a toujours gardé et, comme ses parents, a survécu. Et cette femme, la plus jeune survivante de ce drame, s’est battue toute sa vie, encouragée par les vétérans du naufrage, en gardant le sentiment d’appartenir à une histoire oubliée par beaucoup.
L’évacuation des derniers soldats du corps expéditionnaire britannique se terminera le lendemain 18 juin, en milieu de journée.
Après le naufrage, ce sont 2 477 rescapés de la catastrophe longtemps occultée qui regagnent l’Angleterre après avoir échappé à la mort.
Le capitaine Sharp, commandant du Lancastria, survit au naufrage. Il mourra à bord d’un autre navire le « Laconia », torpillé par un U-boat allemand le 12 septembre 1942. Cette autre tragédie fera 1600 victimes.
Cette catastrophe est la plus grande catastrophe maritime britannique. On estime à 4000 le nombre de victimes, en grande majorité des soldats anglais. Encore aujourd’hui, l’opinion publique britannique est peu sensibilisée à cette catastrophe qui fit 3 fois plus de victimes que le naufrage du Titanic ! En guise de reconnaissance, les familles n’ont reçu qu’un télégramme, arrivé bien souvent des années après le naufrage.
Lorsqu’il apprend la nouvelle, Winston Churchill interdit aux journaux de publier l’information. Il ne veut pas démoraliser la population après le désastre de Dunkerque et se prépare à la bataille d’Angleterre. L’information sera révélée 5 semaines plus tard dans le New York Times.
Désormais, une bouée au large de l’estuaire de la Loire signale l’emplacement de l’épave qui se trouve à 15 km du port de Saint-Nazaire, à une profondeur de 26 mètres et culminant à 12 mètres sous la surface. Elle se situe dans une zone soumise à de fortes marées et courants. Une grande partie du navire est encore intacte.
Celle-ci est considérée, depuis 2006, comme un cimetière marin, avec une zone de protection et d’exclusion de 200 mètres, autour de la zone du naufrage.
Avant cette date, les plongeurs pouvaient y fouiller librement et ramenaient régulièrement des objets. Les pêcheurs remontaient souvent des ossements dans leurs filets.
Bien que les associations créées par les victimes du naufrage et leurs familles souhaitent que, par le biais de la loi de 1986 sur la protection des souvenirs militaires, le lieu soit sanctuarisé, le gouvernement britannique explique ne pas pouvoir requalifier le site en tant que cimetière militaire, étant donné qu’il se trouve dans les eaux territoriales françaises. Quant aux circonstances du naufrage, elles sont toujours sous secret militaire jusqu’en 2040 !
Le 17 juin de chaque année, à l’initiative de l’association écossaise The HMT Lancastria Association, une délégation de survivants et de membres des familles de victimes, vient s’y recueillir à bord de navires en déposant des gerbes de fleurs sur l’eau. Une cérémonie a lieu également au mémorial de Saint-Nazaire.
Cette année du 80e anniversaire de la catastrophe, compte tenu de la pandémie et des mesures sanitaires prises par le gouvernement français, elle se déroulera en présence de 10 personnes maximum.
En France, cinquante-trois cimetières entre Brest et Soulac, dont seize cimetières en Loire-Atlantique et vingt en Vendée, abritent les sépultures des victimes.
Outre Saint-Nazaire, des monuments commémoratifs ont été érigés aux Moutiers-en-Retz et à la pointe Saint-Gildas à Préfailles, et depuis 2019, à Noirmoutier.
Au Royaume-Uni, un mémorial a été inauguré le 1 1er octobre 2011, à Clydebank, près de Glasgow, ainsi qu’une maquette du navire le 22 juin 2013, (site occupé en 1922, par le Chantier naval William HYPERLINK où le navire a été construit). Un autre mémorial se trouve au National Memorial Arboretum à Alrewas près de Lichfield, dans le Staffordshire. Un vitrail commémoratif, se trouve dans l’église St Katharine Cree, à Londres. On trouve aussi dans cette église la cloche du navire, qui porte son nom initial.
L’évacuation des derniers soldats du corps expéditionnaire britannique se terminera le lendemain 18 juin en milieu de journée.
Bibliographie et sources :
Archives départementales de Loire-Atlantique (presse locale)
Archives municipales de Saint-Nazaire
Archives Roland Robert
SNAT-Ecomusée Saint-Nazaire
Saint-Nazaire et le mouvement ouvrier, AREMORS, tome 3
Les grands naufrages de l’estuaire de la Loire, Emile Boutin
Saint-Nazaire 1939/1945, Daniel Sicard
Saint-Nazaire 1939/1940, Luc Brauer
Article Ouest France du 17/06/2015 sur la dernière survivante du Lancastria,Jacqueline Tanner
Article de la revue « Third Age Matters » février 2020
Documents personnels