Ville de l’arrière, elle a vécu la Grande Guerre au travers des débarquements dans son port de troupes, de chevaux et de matériel :
120 000 anglais en 1915, des canadiens, puis plus de 200 000 Sammies entre juin 1917 et octobre 1918.
Elle a vu en 1914 les réfugiés du nord et de l’est affluer, puis de nombreux blessés être rapatriés dans ses hôpitaux.
Un quart de siècle plus tard, la ville s’apprête à revivre une situation identique.

Le premier septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne. Aussitôt est lancé l’ordre de mobilisation générale par voie d’affiches, le 2 septembre, relayé par la radio et les journaux nationaux et locaux qui emboitent le pas. Tous les hommes de 20 à 40 ans sont mobilisés. Partout en France, des affiches de mobilisation générale sont affichées dans tous les lieux publics.
En vertu du pacte d’assistance signé avec la Pologne, l’Angleterre déclare la guerre à l’Allemagne le 3 septembre à 11 heures suivie par la France à 17 heures. Les mobilisés partent ce même jour afin de rejoindre leur centre de recrutement
Rien ne sera fait pour aider réellement la Pologne qui après une vaillante résistance, capitule le 27 septembre après la bataille de Varsovie.
De septembre à octobre 1939, environ 40 000 personnes originaires du département du nord et de la région parisienne arrivent en Bretagne, particulièrement à Saint-Nazaire et dans les stations balnéaires proches, comme La Baule, Saint-Brévin et Pornic. C’est la première prise de conscience pour les Nazairiens que la guerre est bien commencée.
Dès les premiers jours de septembre 1939, les anglais débarquent par contingents entiers à Saint -Nazaire, avant de monter au front.
Les convois rapides, transportant les troupes, sont constitués d’une quinzaine de bâtiments, leur protection étant assurée par la marine britannique. En tout, 14 convois vont se succéder, le premier arrivant dès le 12 septembre, le dernier le 9 novembre. D’autre part, des convois plus lents transporteront du matériel de la mi-septembre 1939 à la mi-juin 1940.On en comptera 41 en tout.
Le port connait une activité intense. Les Tommies défilent dans les rues en sifflant : « Nous irons sécher notre linge sur la ligne Siegfried », avant de gagner leur camp de transit, avant leur envoi vers le front de l’est.
Des convois de véhicules en tous genres, chenillettes, canons, tanks traversent à grand bruit la ville après avoir été débarqués.

A Saint-Nazaire, les anglais établissent un camp à l’école de Plaisance (future école Jules Ferry) pour stocker vivres et habillement.
Les hôtels de La Baule servent pour l’état-major, le casino devient hôpital. Un dépôt de nourriture est installé derrière les terrains de tennis du Country Club.
Enfin un cimetière militaire est édifié au lieu-dit « La ville Halgand »
Une fois les débarquements terminés et la plupart de nos alliés britanniques montés vers la ligne de front, Saint-Nazaire retrouve un certain calme qui persiste durant toute la première partie de la guerre.
Pendant ce temps, l’armée française « pourrit dans l’inaction » selon l’expression du général Beauffre. L’expression « la drôle de guerre » relevée dans le journal local » La Presqu’ile » du 5 novembre 1939, est due à Roland Dorgelès. L’expression fait référence aux tout premiers mois de la guerre de 1939-1945 et désigne la période qui s’étend du 3 septembre 1939 au 10 mai 1940 (début de l’invasion allemande).
L’origine de l’expression résulte d’une méprise sur la signification du terme anglais « phoney war », « fausse guerre » (en effet, cette période se caractérise par une inaction des armées alliées sur le terrain, en attente d’ordres précis), que le correspondant de guerre français Roland Dorgelès aurait malencontreusement traduit par « funny war », « drôle de guerre » en français.
L’armée française participe à la bataille de Norvège du 9 avril au 10 juin. Malgré la prise de Narvik, les alliés décident l’évacuation en raison de la supériorité allemande.
Et c’est le coup de tonnerre du 10 mai 1940, l’armée allemande envahit la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas. Malgré la résistance des troupes alliées, l’avance allemande est inexorable. Le concept du « Blitzkrieg », la « guerre-éclair », avec un rôle nouveau dévolu aux blindés, et superbement ignoré par l’Etat-Major français, porte ses fruits. On attend sur la ligne Maginot un ennemi qui opère une percée entre Sedan et Dinant, dans les Ardennes belges.
Après le rembarquement allié à Dunkerque, l’offensive reprend de plus belle vers le sud. Les allemands entrent dans Paris, déclarée ville ouverte, le 14 juin. Le gouvernement qui avait quitté la capitale pour Tours le 10 juin, prend la direction du sud et rejoint Bordeaux.
A Saint-Nazaire et aux alentours, on essaie tant bien que mal de gérer cette situation, en recensant les réfugiés, en tentant de trouver des hébergements. On les loge tant bien que mal dans les écoles dont les classes s’emplissent de couvertures et de lits de fortune.
Le 12 juin, à 21h45, c’est le premier contact direct avec la guerre. Un avion allemand survole la ville et largue 2 bombes sur Penhoët sans faire de victimes mais causant de gros dégâts aux voies ferrées et au bâtiment de l’Energie Electrique de la Basse Loire. Les nazairiens savent encore si peu ce qui les attend qu’ils regardent le spectacle de leurs fenêtres.
Dès le 15 juin, les troupes anglaises, polonaises, tchécoslovaques refluent vers le port. A Saint-Nazaire doivent s’embarquer 15 000 britanniques du corps expéditionnaire, les personnels des dépôts et hôpitaux de la région ainsi que des soldats venant du Nord et de l’Est. Les rues de la ville sont encombrées par un afflux de camions, autos, motos et surtout d’hommes à pied. Dans un premier temps les habitants pensent que les Anglais sont là pour les défendre mais ils comprennent vite que les soldats quittent la France, abandonnant tout leur matériel qui sera saboté, ne gardant que leur arme personnelle.
Plusieurs grands paquebots sont annoncés pour le rapatriement des troupes. Mais, cette même nuit, des hydravions allemands larguent des mines dans le chenal des Charpentiers, seul point de passage pour les navires à grand tirant d’eau voulant atteindre Saint-Nazaire.

Les premières attaques allemandes ont lieu le 16 juin en fin d’après-midi sans faire de dégâts.Le lundi 17 juin, l’embarquement des troupes britanniques se poursuit. Au lieu de 15 000 hommes ce sont plus de 40 000 soldats qui sont en train d’évacuer le port de Saint-Nazaire qui devient un nouveau « petit Dunkerque », (toutes proportions gardées car à Dunkerque on a évacué 338 000 hommes). Des destroyers ainsi que des remorqueurs font la navette entre le port et les navires sur rade, pour la plupart anglais.
Une première attaque aérienne allemande se produit à 13h48, le paquebot Oronsay , lui aussi empli de soldats déposés par le destroyer Highlander, est le premier touché, une bombe explosant sur le pont.
A 14h45, les sirènes du port se déclenchent pour la 2ème fois. Trois bombardiers Junker 88 se dirigent sur le paquebot Lancastria, mouillé en rade. L’embarquement a commencé vers 11 h et il est plein à craquer de soldats, ainsi que de nombreux civils. Certains chiffres font état de 9000 passagers qui s’entassent dans cet ancien navire de croisière prévu pour en accueillir 2500.



Deux minutes après le passage des bombardiers, le Lancastria s’incline brusquement sur bâbord. C’est la panique. Stanley Bird se trouve à ce moment sur le pont du navire, et saute immédiatement à l’eau. Il perdra son ami qui était descendu boire une bière dans un des ponts inférieurs, d’où les survivants tentent de remonter, aveuglés par la fumée et gênés par l’eau qui s’engouffre de partout. Beaucoup se jettent à l’eau et essaient de se raccrocher à ce qui flotte : canots, radeaux, planches et morceaux de bois, Frédéric Georges est de ceux-là. Avec trois autres soldats, il s’accrochera pendant des heures à un morceau de débris. Il y a tant de personnes à la mer à la recherche d’un objet flottant qui peut leur sauver la vie, que les quatre hommes devront combattre d’autres survivants, ce qui hantera Frédéric pour le reste de ses jours.


Cette catastrophe est la plus grande catastrophe maritime britannique. On estime à 4000 le nombre de victimes, en grande majorité des soldats anglais. Encore aujourd’hui, l’opinion publique britannique est peu sensibilisée à cette catastrophe qui fit 3 fois plus de victimes que le naufrage du Titanic ! En guise de reconnaissance, les familles n’ont reçu qu’un télégramme, arrivé bien souvent des années après le naufrage.

Lorsqu’il apprend la nouvelle, Winston Churchill interdit aux journaux de publier l’information. Il ne veut pas démoraliser la population après le désastre de Dunkerque et se prépare à la bataille d’Angleterre. L’information sera révélée 5 semaines plus tard dans le New York Times.
Désormais, une bouée au large de l’estuaire de la Loire signale l’emplacement de l’épave qui se trouve à 15 km du port de Saint-Nazaire, à une profondeur de 26 mètres et culminant à 12 mètres sous la surface. Elle se situe dans une zone soumise à de fortes marées et courants. Une grande partie du navire est encore intacte.
Celle-ci est considérée, depuis 2006, comme un cimetière marin, avec une zone de protection et d’exclusion de 200 mètres, autour de la zone du naufrage.


Le 17 juin de chaque année, à l’initiative de l’association écossaise The HMT Lancastria Association, une délégation de survivants et de membres des familles de victimes, vient s’y recueillir à bord de navires en déposant des gerbes de fleurs sur l’eau. Une cérémonie a lieu également au mémorial de Saint-Nazaire.

Outre Saint-Nazaire, des monuments commémoratifs ont été érigés aux Moutiers-en-Retz et à la pointe Saint-Gildas à Préfailles, et depuis 2019, à Noirmoutier.


Archives départementales de Loire-Atlantique (presse locale)
Archives municipales de Saint-Nazaire
SNAT-Ecomusée Saint-Nazaire
Saint-Nazaire et le mouvement ouvrier, AREMORS, tome 3
Les grands naufrages de l’estuaire de la Loire, Emile Boutin
Saint-Nazaire 1939/1945, Daniel Sicard
Saint-Nazaire 1939/1940, Luc Brauer
Article Ouest France du 17/06/2015 sur la dernière survivante du Lancastria,Jacqueline Tanner
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